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A Jokoba et Amada « Depuis la chute de Mobutu, en mai 1997, Ludo Martens a passé l'essentiel de son temps en République démocratique du Congo. Il s'est entretenu avec les acteurs du changement, a partagé avec eux ses idées révolutionnaires, sa remise en cause de l'ordre ou plutôt du désordre néocolonial et, aux premières loges, il a assisté à toutes les tentatives de remise au pas du régime de Laurent Désiré Kabila, jusqu'à l'assassinat de ce dernier, la veille du 40e anniversaire de la mort de Patrice Lumumba. Mais Ludo Martens ne s'est pas contenté des "hautes sphères" de la politique ou de la télévision. A chacun de ses longs séjours, il a vécu parmi la population pauvre de Kinshasa, dont il connaît les difficultés, les souffrances, les attentes. Au-delà de la grille d'analyse politique, l'ouvrage représente donc un témoignage de première main sur les premières années de post-mobutisme, les contradictions dans lesquelles la RDC s'est débattue, la guerre qui lui a été infligée, l'attitude équivoque de la communauté internationale. Un outil précieux donc. à lire absolument, pour l'information et la réflexion, que l'on partage ou non l'idéologie de l'auteur. » - Colette Braeckman, journaliste et spécialiste de l'Afrique centrale. En 1979, Ludo Martens invite Kabila à Bruxelles. Depuis, son engagement pour le Congo n'a pas fléchi. Son livre transporte le lecteur dans ce pays complexe, où de nombreuses familles survivent avec 10 dollars par mois et où le peuple a enterré trois millions et demi de victimes en trois années de guerre et d'occupations étrangères. L'auteur rapporte ses entretiens avec des dizaines de militants de base œuvrant pour un changement radical. Les nombreuses anecdotes brossent le quotidien d'un pays ravagé et d'une population clochardisée par Mobutu, mais éveillée et disponible. Elles initient le lecteur aux zaïroê series d'un Sakombi Inongo qui veut établir au Congo «la domination divine» et du maçon Mizele, roi autoproclamé, qui veut rétablir l'ancien royaume Kongo. Si le sujet est grave, le contenu est varié et prend parfois l'aspect d'un journal de bord. Plusieurs chapitres sont basés sur les 120 conférences données par l'auteur à Kinshasa. Lubumbashi et Kikwit et les 70 interventions à la radio et à la télévision. L'ouvrage contient plus de 1.500 références. Des citations pertinentes dévoilent la main des Etats-Unis dans le drame effroyable que vit le Congo depuis août 1998 ainsi que le rôle joué dans la stratégie américaine par Kagame et Museveni et par les différentes fractions «rebelles».
Ludo Martens est l'auteur de Pierre Mulele ou la seconde vie de Patrice Lumumba (EPO, 1985), Sankara. Compaore et la ré volution burkinabé (EPO, 1989), Abo. une femme du Congo (EPO, 1992), L'URSS et la contre-révolution de velours (EPO, 1991), Un autre regard sur rtnlinrg (EPO 1994)Réalisé en collaboration avec la Fondation Mzee Laurent Désiré Kabila, Gombe, Kinshasa, République Démocratique du Congo, Couverture: epo Photocomposition : epo Impression : epo, © Ludo Martens et Editions epo, 2002, 2600 Anvers - Belgique, editions@epo.be, www.epo.be, Isbn2 87262 191 1 D 2002/2204/13, Mots-clés : Afrique, Congo, révolution congolaise, panafricanisme, néocolonialisme, impérialisme Table de matières Préface. Chronique d'une saison 9 Abdoulaye Yerodia Ndombasi Présentation du livre 11 Chapitre 1.17 mai 1997. Faire table rase du mobutisme 13 Chapitre 2. La Conférence Nationale et «Souveraine», ou la démocratie sous forme de multi-mobutisme 43 30 juin 1990 : comment se préparer à l'après-Mobutu ? 48 Prologue à la CNS: consensus national et légalité mobutiste 63 Une rupture de classe entre les conférenciers et les masses 71 Tshisekedi règne comme un démagogue et un aventurier 74 Les évêques mènent la barque 80 Mobutu redevient Président-Fondateur 89 Tshisekedi, Birindwa et Monsengwo: le règne de l'impuissance 99 Kengo et la restauration intégrale 109 Le dernier acte : réconciliation Tshisekedi-Mobutu 120 Chapitre 3. Le Congo pourra-t-il exporter la paix au Rwanda ? 125 La voie rwandaise vers le génocide 128 Le Rwanda exporte ses mythes génocidaires au Kivu 136 Origine et développement du problème dit « des nationalités » au Congo 139 Réalités historiques et sociales et mythologies autochtones 148 L'avenir de l'Afrique est panafricaniste et socialiste 156 Chapitre 4. La guerre de libération du Congo 169 Des Congolais préparent la libération 171 Un Front armé contre le mobutisme 179 Le front panafricain contre le mobutisme 186 Intervention internationale « humanitaire » 193 Un Front entre la France et les mobutistes contre une « agression Tutsi » 797 «L'opposition tshisekediste », dernier recours du mobutisme 203 Les Etats-Unis contre Mobutu et face à Kabila 211 Dernier sale coup de Mandela contre Kabila 224 La fin pitoyable d'un dictateur abandonné 225 Chapitre 5. Lorsque tous les espoirs étaient permis 229 Entre le thatcherisme et le développement autocentré 231 Kabila : « La voie du capitalisme à l'échelle nationale est illusoire... » 235 Les multinationales exigent une capitulation sans condition 245 La « classe politique » à la recherche du paradis perdu 252 Des contradictions dans l'armée, des obus sur Kintambo 260 L'intoxication qui annonce la guerre 266 Washington: « Nous avons beaucoup d'autres intérêts au Congo » 269 Premiers préparatifs de l'agression-rébellion 276 Kabila : « La Chine comme modèle de développement » 280 « Une grande année de notre histoire glorieuse » 284 Chapitre 6. La « grande démocratie » prépare la guerre au Congo 287 La déstabilisation politique et militaire 289 Le Rwanda et l'Ouganda sabotent le rendez-vous de la paix 306 La recolonisation du Congo passe par l'opposition «démocratique» 311 Les Etats-Unis, parrains de l'opposition «démocratique» 317 Sakombi ou les énigmes de la congo-zaïroiserie 322 Mai 1998 : le coup d'Etat contre Kabila annoncé 331 Voyage au Congo, juste avant la tempête 336 Chapitre 7. Août 1998, le mois qui décida de l'avenir du Congo 355 L' agression se prépare 357 Ces partis « démocratiques » qui ont préparé la guerre 364 La poudrière du Kivu 369 La double tactique américaine 374 L'invasion irrésistible des agresseurs et rebelles 378 Les quatre miracles de Kabila 384 Les agresseurs, leurs maîtres et leurs laquais 403 L'échec de la guerre-éclair 412 L'épopée de la défense de Kinshasa 420 A l'Est, les débuts d'un véritable génocide 431 L'alliance Rébellion-Opposition : le couple maudit 437 Chapitre 8. La première guerre de libération panafricaine 449 Congo-Zimbabwe-Angola: un Front pour l'indépendance 451 Victoire totale ou défaite totale ? 464 Crises et conflits dans l'alliance anti-congolaise 473 Les Etats-Unis gagneront-ils la première guerre africaine ? 484 Du mauvais usage de la «Société Civile» 493 Chapitre 9. Victoires des FAC et pièges du Débat national 503 La guerre au Congo : le tournant ? 505 La guerre en Angola fait trembler le Congo 523 Opérations clandestines des Américains 530 Les contradictions internes aux ennemis du Congo 539 Le Rwanda : des Tutsi contre le régime 548 Les Rebelles, ces figurants 552 Un «Débat national» pour chasser Kabila ? 556 « Le MPR, premier parti de l'opposition démocratique » 563 Chapitre 10. Les Comités du Pouvoir Populaire, le projet de société de Mzee Kabila 575 Un Etat répressif au service de l'étranger, ou un Etat populaire ? 578 Une économie extravertie ou une économie nationale ? 582 Démocratie pour les fortunés ou pour les masses populaires ? 584 Discours de Kabila au Palais du Peuple 589 Le difficile apprentissage de l'organisation 595 Discours de Kabila au Congrès des Comités du Pouvoir Populaire 603 L'éducation politique, l'âme du pouvoir populaire 616 Chapitre 11. L'Accord de Lusaka ou le plan américain pour la mise sous tutelle et la division du Congo 621 La paix avec un bout de papier ? 624 Le Plan américain pour diviser le Congo 629 Les trois grands pièges de l'Accord de Lusaka 632 Déjouer les pièges de Lusaka, intensifier le combat contre les occupants 642 L'après Lusaka: les Américains veulent débarquer au Congo 645 Notes 657 Cartes 693 Index 706 Préface Chronique d'une saison Ainsi se lira cet ouvrage: chronique d'une histoire tragique et exaltante. L'auteur exhibe ici son double titre de témoin et de partisan. En effet, Ludo Martens s'est trouvé à tous les carrefours de l'itinéraire de Laurent-Désiré Kabila, à tous les tournants de la troisième saison qu'a incarnée Kabila après la saison de Lumumba et celle de Mulele. Cette troisième saison de la lutte du peuple congolais pour son indépendance, sa souveraineté, son intégrité et pour le pouvoir populaire, reproduite sous la plume de Ludo Martens, constitue pour le lecteur une référence historique et une orientation politique importante. D'innombrables combattants tombés dans le statut de soldat inconnu, reprennent présence et rentrent dans la chaîne de tous les artisans de la saison Kabila. Par cet ouvrage, les voilà ponctuant une trace incarnée pour servir d'édification et d'enrichissement théorique. Ainsi se lira ce livre, fruit de la finesse de l'observation, de la justesse de l'interprétation et de la sympathie envers toutes les saisons qui ponctuent l'histoire du peuple congolais et des peuples africains. Grâce soit rendu à Ludo Martens et à son thomas-d'aquinisme. Abdoulaye Yerodia Ndombasi Ministre d'Etat de Mzee Laurent-Désiré Kabila Présentation du livre Ludo Martens commence par décrire son entrée mouvementée, en juin 1997, à Kinshasa où il tomba en pleine émeute dans le quartier de Tshisekedi : voitures brûlées, coups de fusils. Le combat d'une opposition mobutisée contre Kabila commença dès le premier jour de la libération. Le deuxième chapitre contient une analyse méticuleuse des différentes étapes de la Transition 1990-1997. Il montre que tous ceux qui prônent le retour à la Conférence Nationale veulent en réalité en revenir au néocolonialisme intégral. Le chapitre suivant analyse les relations entre le Congo et le Rwanda depuis les années trente. Tout exclusivisme ethnique, qu'il soit hutu ou tutsi, qu'il soit kongo ou luba, revient à une manipulation de «l'ethnie» au profit d'intérêts économiques de classes possédantes ou de puissances étrangères. L'auteur rejoint Nkrumah dans sa défense d'une politique nationaliste, panafricaniste et anti-impérialiste. Ludo Martens montre par de nombreuses preuves que la guerre de libération de 1996-1997 a été une guerre juste dans le chef des nationalistes congolais, des Rwandais et des Angolais. Kigali a pu éliminer les camps des génocidaires et Luanda les bases de l'UNITA. Pendant cette guerre, l'opposition tshisekediste est apparue comme le dernier recours de Mobutu. Les premiers signes de la dégénérescence du régime de Kagame sont également décrits. L'hostilité croissante des Etats-Unis à l'égard de Kabila à mesure qu'il progresse vers Kinshasa, est exposée en détails. Le cinquième chapitre discute la politique du développement arrêtée par Kabila pour créer une économie indépendante au service des masses populaires. Dès les six premiers mois du nouveau régime, l'opposition lui a mené une guerre en règle qui a préparé directement l'agression-rébellion d'août 1998. Cette guerre s'est annoncée aussi en septembre 1997 dans la pluie d'obus qui tomba sur Kintambo, où vivait à l'époque l'auteur. Le sixième chapitre décrit les préparatifs de guerre entrepris par les mobutistes dès janvier 1998. Il donne les preuves que l'Ouganda et le Rwanda ont pris en janvier-mai 1998 la décision d'agresser le Congo. L'humanitaire est instrumentalisé pour préparer des coups d'état et des agressions. Pour déstabiliser Kabila, la propagande «humanitaire» le présenta comme le génocidaire des Hutu jusqu'en juillet 1998, mais le mois suivant Kabila est devenu le génocidaire des Tutsi ! Une centaine de pages sont consacrées au mois d'août 1998, le début de l'agression. Elles décrivent la préparation minutieuse du complot et la façon dont Kabila a redressé une situation qui semblait irrémédiablement perdue. L'auteur montre le rôle décisif joué par les Etats-Unis dans la guerre d'agression contre le Congo. Il donne les preuves que la «rébellion» a été une création de toutes pièces des agresseurs et qu'une partie de l'opposition était complice avec les agresseurs-rebelles. Dès les premiers mois, des bagarres ont éclatées entre les chefs rebelles qui se sont attirés la haine de toute la population congolaise. Une quinzaine de Kinois témoigne de la résistance populaire contre l'entrée dans Kinshasa des agresseurs, les 25-28 août 1998. Ludo Martens réfute en détail les accusations d'un «génocide des Tutsi» qu'auraient organisé Kabila et Yerodia. Ce chapitre contient assez de preuves pour acquitter Yerodia de l'accusation d'avoir appelé à «tuer les Tutsi» - même devant un tribunal belge... Le huitième chapitre explique que la guerre patriotique congolaise est la première guerre de libération à dimension panafricaine de ce XXIe siècle. La guerre du Congo implique au moins quatorze pays africains, de l'Afrique du Sud jusqu'à la Libye. Le Zimbabwe, l'Angola, la Namibie, le Tchad, le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi ont opéré militairement sur les champs de bataille du Congo. Ensuite, l'auteur décrit comment la «guerre-éclaire» a été brisée et comment un équilibre s'est installé en avril 1999. Au moment où les troupes de Kagame menaçaient Mbuji Mayi, l'UNITA a failli prendre Luanda et l'opposition zimbabwéenne, payée par les Etats-Unis, mit Mugabe en difficultés. Le rapprochement entre Kagame et l'opposition «non armée» à Kabila est analysée en détails. Mais la résistance acharnée du Congo, de l'Angola et du Zimbabwe a ébranlé toute la stratégie africaine des Etats-Unis. Tout au long du livre, l'auteur montre que les contradictions politiques et sociales se sont aiguisées au Rwanda de Kagame. Le Congo de Kabila a des alliés au Rwanda parmi les démocrates hutu et tutsi. Le lecteur trouve dans le dixième chapitre les deux grands discours de Kabila sur les Comités du Pouvoir Populaire. Kabila y développe son projet de société pour le XXIe siècle. Ces textes ont une grande valeur pour tous les pays africains. L'auteur développe l'analyse de la société qui est à la base du concept du Pouvoir Populaire et discute ses premières expériences. Le dernier chapitre traite de l'Accord de Lusaka, accord injuste imposé sous le chantage des agresseurs. L'Accord nie que le Congo est agressé et contient le programme d'un coup d'état «parlementaire» contre le régime nationaliste. L'auteur prouve que l'Accord vise la mise sous tutelle du Congo par les Etats-Unis, voire la division du pays. La résistance opiniâtre de Laurent-Désiré Kabila a fait échouer ce plan, Joseph Kabila a cueilli les fruits de cette résistance. Chapitre 1 17 mai 1997 17 mai 1997, fin d'après-midi. J'allume par hasard la télévision et je vois défiler sur l'écran de longues colonnes de soldats. Il me faut un peu de temps pour me rendre compte qu'ils marchent sur le Boulevard du 30 Juin à Kinshasa. Mobutu a pris la fuite. Je regarde les jeunes kinois acclamer les libérateurs. Et j'imagine la joie de ces militants congolais qui ont vu leurs amis massacrés, qui ont dû se taire et se cacher pendant plus de trente ans et qui ont souvent désespéré de la victoire... Dans un réflexe, j'appelle Brazzaville. Depuis des semaines, la ligne ne passait pas. Mais ce 17 mai est le jour de tous les miracles. J'ai Léonie Abo, la femme de Pierre Mulele, immédiatement au téléphone. Je veux avoir son sentiment sur ces images fantastiques de Kinshasa. Elle me dit: «Vous là-bas, vous êtes toujours au courant, mais nous qui sommes à côté de Kinshasa, ne savons rien... Depuis la guerre de 1994, ici à Brazza, plus rien ne marche...» Cela fait presque trente ans qu'Abo a fui le Congo. Moi, je n'ai jamais pu mettre les pieds à Kinshasa. Dans l'euphorie du moment, nous nous fixons rendez-vous à Kin. Nous ne pouvions pas nous imaginer à quel point la révolution qui vient de triompher, serait complexe et parfois contradictoire. Pendant les quatre années suivantes, j'ai retrouvé Abo régulièrement à Kinshasa. A mesure que le temps passait, elle devenait de plus en plus aigrie. En 1992, j'ai publié le livre Abo, une femme du Congo qui relate l'histoire de sa vie. Par son livre-témoignage sur la révolution congolaise de 1964-1968, Abo a sauvé la mémoire de Pierre Mulele, un des plus grands révolutionnaires africains : Winnie Mandela a dit qu'elle a rarement lu un récit aussi captivant sur la participation d'une femme à la révolution africaine. La grande artiste malienne Oumou Sangare a chanté dix chansons sur la vie et la lutte d'Abo. Mais à Kinshasa, Kabila n'a jamais rencontré cette femme courageuse. Elle n'a reçu nulle part la moindre reconnaissance. Personne ne lui a trouvé un travail. Et de misère, elle a dû fuir le Congo libéré pour un nouvel exil à Brazza... Après le coup de téléphone à Abo, je me suis à nouveau enivré d'images de Kinshasa. Des étudiants, hier encore tshisekedistes, agitant un papier où était griffonné le nom de Kabila, leur nouveau héros. Images de très jeunes soldats, après une marche folle de 2.000 kilomètres, perplexes devant les merveilles d'une grande ville. Des cadavres d'ex-FAZ. La Croix rouge dira plus tard qu'il y a eu dans tout Kinshasa 200 morts. On a craint un affrontement entre la Division Spéciale Présidentielle et l'AFDL qui aurait pu faire des milliers de morts... Mahele, qui commandait l'armée et était en liaison avec Kabila, a donné l'ordre de ne pas résister à l'AFDL. Il sera finalement abattu par des militaires restés fidèles à Mobutu. Mais plus aucun soldat ne pensait se sacrifier dans la «résistance», ayant vu les officiers supérieurs se précipiter vers Brazzaville... Certains soldats se sont adonnés aux pillages. Ceux qui ont été surpris par les kadogo, ont été abattus sur place. Image d'un homme en uniforme criblé de balles, gisant à côté d'une télévision qu'il avait emportée... Dans la soirée de ce mémorable 17 mai 1997, j'ai écrit un éditorial pour l'hebdomadaire Solidaire. Le voici : « Kabila vient de clôturer une campagne remarquable par la prise de Kinshasa. L'histoire vient de prendre une revanche extraordinaire. Pendant 37 ans, le régime de Mobutu a traqué et tué les partisans de Lumumba et de Mulele, il a voulu effacer leur œuvre de la mémoire du peuple. La victoire de Kabila est la revanche historique de Lumumba et de Mulele. Cette victoire survient dans une conjoncture très particulière. Depuis la contre-révolution en Union soviétique, l'impérialisme ne craint plus tellement que le mouvement nationaliste africain prenne une orientation socialiste. Washington tente même de s'accommoder les nationalistes radicaux. D'autre part, la recolonisation du continent progresse à pas de géant. L'exploitation des masses s'accentue et parmi la jeune génération intellectuelle se développent des sentiments antiimpérialistes. La révolte de ces masses est à la base de la victoire de Kabila. Les pauvres ne sont pas prêts d'oublier les crimes barbares commis par les puissances occidentales. Les Américains ont voulu utiliser Kabila pour secouer le régime de Mobutu et pour réaliser une transition avec toutes les "forces vives". Leur objectif? Sauver le maximum de forces pro-impérialistes dans l'entourage de Mobutu, organiser la poursuite de la domination néocoloniale, sous une forme renouvelée. Mais ils se méfiaient d'un Kabila représentant les insurrections populaires des années soixante. Kabila a su déjouer les nombreux pièges que les puissances impérialistes lui ont tendus. Il n'a jamais plié. La victoire de Kabila au cœur de l'Afrique aura une influence profonde sur tout le continent, parce que c'est la victoire de la lutte armée populaire contre un régime néocolonial tyrannique. L'opposition bourgeoise a démontré toute son impuissance. La preuve est faite que la domination néocoloniale ne peut pas être renversée en s'en tenant aux règles "démocratiques" que les impérialistes imposent par la force, par les campagnes de désinformation et par la corruption. Pour triompher, la résistance politique des masses populaires doit se transformer, au moment opportun, en lutte armée populaire. La victoire de Kabila n'est que le début de la révolution. Il s'agira d'une entreprise de longue haleine. La tactique de l'adversaire s'est déjà clairement dessinée. D'abord, pousser l'Alliance à la réconciliation avec des forces politiques liées à l'impérialisme. Ensuite, exiger aussi vite que possible des élections "libres", où les partis pro-occidentaux et disposant de financements massifs, s'imposeront. Troisième mouvement: déclencher une campagne d'intoxication contre Kabila "dictateur du même type que Mobutu". Quatre: organiser une Société Civile néocoloniale et d'autres groupes "des droits de l'homme" pour déstabiliser les libérateurs. Et enfin: infiltrer des agents secrets dans l'entourage de Kabila, provoquer des dissensions et des conflits internes au sein de l'Alliance. La campagne militaire de l'Alliance, soutenue par une grande mobilisation des masses, constitue l'expression la plus puissante de la volonté populaire. C'est d'elle que l'Alliance et Kabila tirent leur légitimité. Ils n'ont pas à se laisser dicter la conduite à suivre par les puissances impérialistes qui ont nourri le mobutisme pendant 37 ans. Mais la victoire obtenue est une plante encore frêle. Les masses populaires, qui ont la haine de l'ancien régime, ne sont ni politisées, ni organisées. Est-ce que l'Alliance sera capable de forger une unité idéologique et politique solide entre ses membres venus d'horizons divers ? Est-ce que ses dirigeants et cadres sont prêts à se sacrifier pour la libération de la nation congolaise ? Pourront-ils combattre les tendances à "profiter" du pouvoir et à "prendre la place" de l'ancienne bourgeoisie com-pradore? La victoire d'aujourd'hui n'est que le début de la véritable révolution. Il s'agit de commencer à construire un pouvoir populaire qui permettra aux paysans pauvres, aux ouvriers, aux intellectuels, aux jeunes et aux petits commerçants de prendre leur destin en main. » Le lendemain, des dépêches m'apprennent que le Conseil Elargi de l'Alliance s'est réuni le vendredi 16 mai 1997 sous la présidence de Laurent-Désiré Kabila. Il a délibéré de «la vacance du pouvoir à la tête de l'Etat créée par la fuite imprévisible du Président Mobutu». Le Conseil rappelle «la guerre de libération qui dure depuis le 14 septembre 1960 et qui est continuée aujourd'hui par l'AFDL contre la dictature et pour l'instauration d'un régime démocratique et d'un Etat de droit». Pour protéger « la paix, l'unité nationale et la sécurité des personnes et des biens », quatre décisions ont été adoptées. «Le pouvoir est pris par l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo qui assure l'autorité de transition. Kabila assume les fonctions du Chef de l'Etat de la République Démocratique du Congo. Dans un délai de 72 heures, un Gouvernement de transition de Salut-Public sera formé. Tous les actes pseudo-constitutionnels existants, ainsi que les institutions qu'ils organisent, sont suspendus.»1Ainsi, l'Alliance fait table rase de toutes les institutions néocoloniales qui ont existé depuis le premier coup d'Etat de Mobutu. L'Alliance renoue avec le nationalisme du temps de Lumumba. Tshisekedi et tous les autres mobutistes de la première heure, les Bomboko, Nen-daka et Ndele, ne pardonneront jamais à Kabila d'avoir voulu éradiquer le néocolonialisme par la racine: leur coup d'Etat du 14 septembre 1960. Le second coup, le 24 novembre 1965 n'a été qu'une confirmation du premier avec pratiquement les mêmes acteurs. Tshisekedi est alors nommé au poste de ministre de l'Intérieur, chargé de la répression du mouvement nationaliste... Le 23 mai, Kabila annonce la composition de son premier gouvernement. Comme l'Alliance a été seule à assumer la guerre de libération, elle dirigera seule le pays, pendant une courte période de deux ans, jusqu'aux élections démocratiques. Les pre- mières depuis mai 1960. Des personnalités de l'opposition parlementaire à Mobutu s'allient à l'AFDL au sein du Gouvernement de Salut-Public que Kabila préside. Le jeudi 29 mai 1997, au Stade des Martyrs de Kinshasa, a lieu la cérémonie d'investiture du Président Kabila, entouré pour cette occasion solennelle de ses collègues dos Santos, Museveni, Bizimungu, Buyoya et Chiluba... Kabila prononce des paroles pertinentes qui montrent à quel point il a assimilé les leçons du drame Lumumba. Des paroles qui marqueront d'ailleurs toute sa trajectoire pendant les trois ans et huit mois qu'il sera à la tête du Congo. «Les ennemis de notre peuple et de notre pays ont échafaudé intrigues et machinations. Ils ont ourdi des complots et déclenché une campagne systématique de désinformation et d'intoxication médiatique destinée à dénaturer et à calomnier l'action de l'AFDL. Cette campagne diffamatoire est une tentative de maintenir à genoux notre peuple longtemps humilié afin de freiner le processus de sa libération. C'est ainsi que les créateurs d'hommes politiques soi-disant valables ont suggéré à travers les médias que ne serait acceptable démocratiquement qu 'un gouvernement où leurs agents seraient intégrés. Le dessein de cette démarche, c 'est de bloquer les activités du gouvernement de transition et s'assurer qu'ils maintiennent le pays dans les tâtonnements, les hésitations et les querelles intestines qui justifiaient jadis leurs interventions intempestives. » Exactement comme en 1960, les puissances impérialistes refusent que le Congo soit dirigé par un gouvernement nationaliste. Elles veulent avoir leurs hommes dans l'équipe gouvernementale pour empêcher un changement fondamental. Kabila poursuit: «Pour l'AFDL, il ne s'agit pas d'assurer la continuité du régime précédent, mais de bâtir un nouvel Etat, fondé sur de nouvelles valeurs après avoir fait table rase du mobutisme. Nous ne pouvons pas être les continuateurs de l'ignoble IIe République (...) Nous ne sommes pas partie prenante de toutes ces manœuvres de la soi-disant Conférence Souveraine. Commencer le processus de démocratisation par des élections législatives (...) cela équivaudrait à assumer la continuité du régime antérieur. Le gouvernement serait soumis à une pression immédiate d'une classe politique décadente, puisque toute vie publique aurait pour seul horizon la date fixée pour les élections. Là commenceraient d'emblée les affrontements entre groupuscules politiques qui chercheraient ainsi à se différencier les uns des autres. Et, vous le savez, le chaos dans les rues de Kinshasa. » Kabila annonce ensuite sa décision de commencer le processus démocratique par l'élaboration d'une constituante, «dans le travail concerté pour formuler un projet d'avenir commun». Pendant cette étape, «l'AFDL constituera le cadre pour forger la cohésion nationale». Et d'annoncer son calendrier: «choisir avant fin août 1997 les membres de la commission constitutionnelle, remise du projet au Chef de l'Etat au 1er mars 1998, et finalement en août 1998, les premières élections démocratiques depuis 38 ans».2 Au cours de cette cérémonie, la prestation de serment de Kabila n'était pas le seul événement historique. Il y en a eu un autre, inattendu des Kinois, mais inscrit dans une longue histoire et annonciateur de grands malheurs à venir : un millier de mobutistes et tshisekedistes se sont manifestés pour chanter à l'unisson La Za ïroise?En effet, la guerre politique pour empêcher un gouvernement nationaliste de se constituer et de fonctionner avait déjà commencé la veille de la libération. Le 16 mai, le dernier chef de gouvernement de l'ancien régime a tiré les premières salves. Dans une page payée dans le quotidien Le Monde, le général Likulia s'est adressé à la France en tant qu'allié principal des mobutistes. «Notre armée... ne pouvait trouver... le sursaut... face à des armées étrangères parfaitement encadrées, y compris par des officiers mercenaires... A notre unité... s'oppose la stratégie de certains de nos voisins... d'une véritable balkanisation du Zaïre. A notre indépendance... s'oppose la volonté de certaines grandes puissances politiques et économiques, de s'approprier nos immenses richesses naturelles... » «A la paix civile s'oppose la volonté de Monsieur Kabila... de prendre le pouvoir par la seule force d'armées étrangères. Madame Emma Bonino accuse aujourd'hui l'Alliance de "violer massivement les Droits de l'Homme, et de transformer les territoires qu 'elle occupe en véritable abattoir". » «Les massacres... auraient pu être évités si la communauté internationale avait souscrit à la requête du Président Chirac... qui a proposé... la création d'une force internationale d'interposition. »AVoilà coulée, dans un français admirable, la ligne de défense du mobutisme pur et dur contre le mouvement nationaliste : les armées rwandaise et ougandaise veulent occuper et annexer une partie du Zaïre ; les Américains, les grands rivaux de la France, vont piétiner l'indépendance du Zaïre et s'approprier ses richesses ; le pays de Mobutu connaissait la paix civile, mais Kabila a pris le pouvoir par les armes ; Kabila a transformé le Zaïre en abattoir ; une intervention militaire occidentale et principalement française aurait pu sauver le régime en place... Tous les défenseurs de l'ancien régime répercuteront ce message. De l'Eglise catholique avec Mgr Banga Bane dénonçant « une nouvelle dictature armée » et « une colonisation» par le Rwanda et l'Ouganda et par des puissances occidentales5, jus-qu ' à certaines « organisations des autochtones du Congo » établies aux Etats-Unis qui s'en prennent à «la dictature étrangère dans notre pays» et à «Voccupation et la domination du Congo par les forces étrangères » .6Tshisekedi et l'opposition «démocratique» s'élancent également pour sauver l'ordre mobutiste. Kabila n'a pas encore reçu l'investiture, lorsque l'UDPS se met à fulminer contre la «dictature» de Kabila... «Nous ne sortons pas d'un cachot pour nous mettre dans un autre. Cette fameuse révolution n'est qu'une dictature»? Une semaine plus tard, l'UDPS exige «le départ sans conditions des militaires rwandais et ougandais du sol congolais»? Tshisekedi veut renvoyer les militaires alliés avant que Kabila n'ait organisé une nouvelle armée patriotique et démocratique. C'est faciliter la tâche aux généraux mobutistes pour rétablir l'ancien régime par les armes. Kabila fait table rase de 37 ans de dictature néocoloniale. Mais Tshisekedi déclare que pour lui, le gouvernement Kabila n'existe simplement pas ! Seul continue à exis- ter le gouvernement issu de la Conférence Nationale Souveraine (CNS), fort de la «légalité» lui accordée par Mobutu... Tshisekedi déclare le 24 mai : «Non seulement je ne reconnais pas ce gouvernement, mais pour moi il n 'existe pas. Je demande à notre peuple de tout faire pour l'ignorer et de résister avec la dernière énergie à ceux qui voudraient l'imposer. »9Toutes les forces politiques qui s'alignent derrière la France dans son hostilité au gouvernement nationaliste de Kabila, ont une alternative. Elle est soufflée par le Quai d'Orsay. Hervé de Charrette, le chef de la diplomatie française, déclare le jour même de l'arrivée de Kabila à Kinshasa: «II est grand temps (!) que soit constitué un gouvernement d'Union nationale qui rassemble l'ensemble des forces politiques et que s'organise un processus démocratique (...) seul capable de préparer l'avenir».10 Presque toute la classe politique néocoloniale chantera ce refrain pendant les quatre années à venir. Cette petite phrase contient déjà le prétexte officiel utilisé lors de la guerre d'agression américano-rwando-ougandaise, comme elle préfigure l'Accord de Lusaka, imposé à Kabila par le chantage des armes... Bomboko, l'homme qui fut en 1960 le principal atout de l'Occident dans sa lutte contre Lumumba, était bien sûr en parfait accord avec la France. Il déclare en juin 1997 : «Le nouveau pouvoir échouera s'il pratique l'exclusion, s'il ne reconnaît pas les efforts de l'opposition intérieure. »n Avec Kasavubu et Delvaux, Bomboko fut, le 5 septembre 1960, l'initiateur de «l'exclusion» de Lumumba du gouvernement qui marqua le premier coup d'Etat. Bomboko revint à la charge le 14 septembre en tant que chef du gouvernement des Commissaires Généraux, installé par le second coup d'Etat, celui de Mobutu ! Le 25 mai 1997, une semaine après l'arrivée de l'AFDL à Kinshasa, cet homme exige que Kabila l'incorpore, lui et ses semblables, dans un gouvernement de réconciliation nationale...Dans le gouvernement issu du coup d'Etat du 14 septembre 1960, figurait comme Commissaire à la justice le dénommé Tshisekedi. Trente-sept années plus tard, le 25 mai 1997, celui-ci déclare que l'AFDL est «dépourvue de toute légitimité populaire». Et cet ennemi de Lumumba de se profiler comme l'adversaire n°l de Kabila en exigeant «la mise sur pied d'un gouvernement de transition formé dans le cadre prescrit par la Conférence Nationale Souveraine (CNS) et dirigé par un élu de la CNS». En clair, par lui-même.12 De manière inattendue, le Parti Lumumbiste Unifié de Gizenga se manifeste, en ce mois décisif de mai 1997, comme la «gauche» de la mouvance néocoloniale. Dans un texte d'une confusion extrême, il déclare ceci: «Le PALU invite la classe politique à mettre tout en œuvre pour sauvegarder les acquis de la libération du Congo plutôt que de les compromettre... La participation au pouvoir de transition, des forces politiques et de la Société Civile ayant réellement combattu la dictature et disposant d'une base populaire effective, serait une garantie... pour les partenaires extérieurs que les engagements... ne seront pas remis en cause après les élections... Les partis politiques, qui participeront à V autorité de transition, devront s'engager àrespecter le principe de l'unité de commandement et celui de la cohésion et de la solidarité dans l'action gouvernementale. »13 Ainsi donc, le PALU invite la classe politique néocoloniale qui a maintenu Mobutu à la présidence de 1990 à 1997, à «sauvegarder» les conquêtes de la guerre de libération dirigée par Kabila... Les forces néocoloniales qui prétendent avoir combattu la dictature, seront, aux yeux du PALU, une « garantie » pour les impérialistes que les engagements du nouveau gouvernement seront respectés... Et les magouilleurs de la transition, devenus ministres de Kabila, sont censés respecter «l'unité de commandement» du gouvernement... Dans ce concert de voix qui s'alignent sur l'Occident, nous voulons isoler un son particulièrement insolent. Emile Ilunga est le président du Conseil National de la Révolution qui prétend représenter les ex-gendarmes katangais. Je l'ai connu pendant les longues années durant lesquelles il a représenté le PRP de Kabila à Bruxelles et en Europe. Ses positions actuelles éclaircissent également une certaine confusion qui régnait au sein de ce parti. Pendant l'été de 1996, Emile Ilunga a contacté des milieux d'affaires belges pour obtenir des fonds afin de déclencher la lutte contre Mobutu. Ilunga s'est notamment rendu chez le colonel Guy Weber, un des acteurs principaux de la sécession katangaise. Ilunga avoue: «M'intéressant aux Belges qui ont connu Tshombe, des amis m'avaient mis en contact avec Tavernier». On sait que le mercenaire Tavernier se rangera quelques mois plus tard du côté de Mobutu pour soutenir la «contre-offensive foudroyante» contre les forces de Kabila... Ilunga est le prototype de ces aventuriers qui grouillaient dans l'opposition zaïroise. Parlant «marxisme-léninisme» lorsqu'il représentait le PRP à Bruxelles, il fait en juillet 1996 la manche dans les milieux affairistes des anciens coloniaux katangais... A ses interlocuteurs, Ilunga dit que ses ex-gendarmes, dirigés par le général Mufu, se trouvent déjà à Dilolo (Katanga) et à Tshikapa. «Notre but est d'occuper les régions minières afin d'obliger le pouvoir central à négocier avec nous », affirme -t-il. Notons qu'il ne s'agit pas de renverser le pouvoir néocolonial mobutiste, mais de «négocier» avec lui. On comprend dès lors pourquoi monsieur Ilunga combat Kabila avant même l'entrée de l'AFDL à Kinshasa. Le 15 mai 1997, il dit: «IIfaut rassembler les partis d'opposition (UDPS, PDSC, PALU), la Société Civile, les églises pour voir comment on peut le mieux gérer l 'après-mobutisme ». Partisan d'un «gouvernement d'Union nationale qui rassemble l'ensemble des composantes intervenant sur la scène zaïroise», il affirme qu'il «faudra s'appuyer sur les acquis de la Conférence Nationale Souveraine». Ainsi, avant la victoire des forces nationalistes, Ilunga défend déjà le programme qu'il proclamera comme chef de la «rébellion» en 1998-1999.,.14 Soulignons aussi qu'une certaine Société Civile a voulu prouver à ses bailleurs de fonds que leur argent était bien investi : « Au cours de (la) concertation, à laquelle ont pris part Mgr Monsengwo au nom de l'Eglise catholique, ainsi que les représentants de la Voix des Sans Voix, du CNONGD, de la Linelit..., il a été demandé aux Etats-Unis de conditionner tout appui à Kabila par un consensus national. »15 C'est cela, la véritable Société Civile made in USA: elle anticipe aux desiderata et aux diktats de ses maîtres et les présente comme la volonté du peuple congolais... Si certains supplient les Américains d'imposer le «consensus national», d'autres veulent arriver à cette fin par la voie du populisme. Le lecteur appréciera les belles tournures oratoires d'Olengankoy: «La lutte sur le front intérieur a été longue et pénible, et la peur a été vaincue. Mais nous n 'avions pas d'armes et, au moment où nous commencions à nous essouffler, notre compatriote a complété notre combat, a dirigé la rébellion. Nous avions mis Mobutu dans une ambulance, Kabila l'a conduit au cimetière. Lorsque son armée est entrée dans la ville, notre peuple l'a guidée. »16 Ainsi, l'opposition «interne» aurait vaincu la peur, mais elle n'avait pas d'armes. Sous-entendu: «Si nous avions eu des fusils, nous aurions mené une guerre révolutionnaire à la place de Kabila»... Olengankoy veut faire croire que la lutte de l'opposition «parlementaire» a connu sa suite logique dans le combat de Kabila. Par cette contre-vérité, il veut présenter le « gouvernement de consensus national » comme la conséquence logique d'une lutte commune. Or, la pseudo-lutte menée contre Mobutu par l'opposition parlementaire visait à sauver le système mobutiste et son personnel. Kabila voulait casser le système et chasser son personnel. Mobutu a été mis dans l'ambulance, non pas par l'opposition parlementaire, mais par le cancer de la prostate. Un Mobutu en bonne santé aurait été embrassé par l'opposition dans un combat commun pour la défense du système néocolonial contre le mouvement nationaliste. Le caractère démagogique des propos d'Olengankoy ressort encore plus clairement lorsqu'on les compare à la démarche d'un parti qui a réellement rompu avec l'orientation de la CNS. Dans l'interview que nous reprenons ci-après, le Front Patriotique du docteur Sondji explique comment il voit la relation entre «mettre dans l'ambulance» et «conduire au cimetière». Pour ce parti, il s'agissait d'atteindre à tout prix un but: le renversement du système mobutiste. Lorsqu'une stratégie - celle de mettre Mobutu dans l'ambulance grâce aux parlotes de la CNS - a mené à l'impasse, le Front Patriotique a rejoint une autre stratégie à même de conduire le dictateur réellement au cimetière - celle de l'insurrection populaire prônée par Kabila. Tony Busselen a interrogé Jean-Baptiste Sondji à propos de l'arrivée des troupes de l'AFDL à Kinshasa. Voici ce qu'il a noté : «Le rôle du Front Patriotique a consisté à planifier l'entrée de l'armée de l'Alliance à Kinshasa. Quelques mois avant, nous avons été contactés par un émissaire de Kabila et c 'est avec ce contact que nous avons évalué la situation politique... Début du mois de mai, les contacts sont devenus plus intenses, pratiquement quotidiens. L'entrée des troupes était prévue pour le jeudi 15 mai, après la rencontre sur le bateau. Soit Mobutu acceptait la reddition et alors les troupes entreraient pacifiquement, soit Mobutu refuserait et alors les troupes entreraient par la force. Mais la rencontre n'a pas eu lieu. Les événements se sont précipités le lendemain. Le vendredi 16, le matin vers 08h00, nous avons vu un grand cortège avec tous les biens de Mobutu, qui se dirigeait vers l'aéroport. Quelques temps après, un colonel du S ARM, Service d'Action et de Renseignement Militaire, est venu nous prévenir que Mobutu venait de fuir et que la situation allait devenir très dangereuse. Parce que les soldats de la DSP et les hommes du SARM allaient se sentir abandonnés. A I5h00, nous avons envoyé un message par e-mail à l'Etat-major dans lequel nous disions que nous souhaiterions que les troupes entrent ce vendredi à Kinshasa parce que l'attente jusqu'à lundi allait être trop dangereuse pour la population. A ce moment, deux officiers supérieurs, membres de notre parti, étaient arrêtés. Ils se trouvaient en prison. J'ai alors demandé l'autorisation défaire une opération de commando pour les libérer. Il y avait tout un bataillon de l'AFDL à l'intérieur de la ville. Ils étaient en civil. On nous a répondu que ce serait trop difficile. Alors des gens sont allés dans la prison et verront les deux officiers supérieurs, bien habillés en tenue militaire. Ils avaient été convoqués par le chef de l'état-major, le général Mahele. Mahele les avait libérés le même jour, au matin. »17 Mobutu, Tshisekedi, Bomboko et autres Bo-Boliko ont eu 37 ans pour montrer de quoi ils étaient capables. Kabila ne demandait que deux ans pour réaliser des élections libres, les premières depuis 37 ans. Mais les fanatiques de l'Occident ne lui ont même pas accordé un mois ! Kabila n'était pas encore investi comme Président, que des grands noms de la Transition «démocratique» menaçaient déjà de mener des actions armées pour s'imposer dans un gouvernement néocolonial d'Union nationale. Le 26 mai, Olenghankoy déclare: «Nous avons les moyens de rendre cette ville ingouvernable. Et ce que Kabila a réalisé avec la force des armes, d'autres aussi pourraient le faire... »18 Un mois et demi plus tard, Olengankoy revient à la charge. Il annonce que sa campagne contre le gouvernement Kabila «pourrait conduire finalement à la résistance armée. Malheureusement, une des leçons que le peuple a tiré de l'arrivée au pouvoir de Kabila, est que la communauté internationale respecte des hommes violents. Ce pays n'a pas lutté pendant sept années pour se débarrasser de Mobutu, pour s'asseoir et regarder qu 'il est remplacé par quelqu 'un qui utilise les mêmes méthodes. L'Occident ne doit pas s'attendre à ce que nous acceptions pour une durée indéterminée l'opposition non-violente. »19 Le 30 juin 1997, une autre vedette de la Transition, Jacques Matanda, promet lui aussi de mettre le Congo à feu et à sang. Il affirme qu'il organisera un large «Front populaire de résistance armée» destiné à mettre «hors d'état de nuire et à expulser les armées et milices génocidaires tutsi occupant le territoire national» et qu'il dispose de «très nombreuses cellules combattantes armées» dont l'objectif est de «paralyser l'appareil économique ».20 Ainsi, dans les jours et semaines qui ont suivi la libération, une certaine opposition « démocratique » annonce déjà la naissance d'une rébellion anti-nationaliste qui verra effectivement le jour... deux semaines après l'agression américano-rwando-ougan-daisedu2aoûtl998... Dès son entrée à Kinshasa, Kabila a été mis sous forte pression pour qu'il incorpore Tshisekedi et son UDPS dans le nouveau gouvernement. Tshisekedi, qui brille surtout lors de conflits inutiles, constituerait une garantie pour que le gouvernement nationaliste soit déchiré, paralysé et incapable de réaliser une œuvre constructive. Mais le mythe du «Moïse» zaïrois, savamment entretenue par une certaine presse pro-occidentale, était toujours vivace dans le peuple. Beaucoup d'observateurs estimaient que Kabila ne pouvait pas courir le risque de l'affronter. Kabila fit un pari sur la maturité du peuple kinois. Lorsque Tshisekedi transgressait les lois et décrets, il fut rappelé à l'ordre et interpellé. Les troupes de l'UDPS cherchaient l'affrontement avec l'espoir que quelques nouveaux «martyrs» suffiraient à soulever le peuple. Ainsi, le lundi 26 mai déjà, l'opposition organise contre le nouveau «dictateur» Kabila, ce qu'elle a réussi si souvent contre l'ancien : une opération ville morte. Le 23 mai, la liste des ministres de l'équipe Kabila avait été publiée et Tshisekedi n'y figure pas. Kabila vient à peine d'arriver à Kinshasa. La bataille semble trop inégale. Comment un homme inconnu des Kinois pourrait-il l'emporter sur le «leader charismatique », sur le « Moïse » zaïrois ? Le peuple prend un week-end de réflexion. Le lundi, tout le monde va au travail, le peuple vaque à ses besognes comme d'habitude. Ce jour-là, au niveau de la masse, le mythe Tshisekedi est brisé. Pendant sept années, jouissant d'un soutien populaire très important, Tshisekedi s'est montré incapable de chasser Mobutu. Kabila a pris les armes et il a balayé Mobutu et les mobutistes. Le peuple a fait son choix. Un Kinois déclare : «Marcher, pourquoi ? On a déjà marché, on a fait "ville morte ", ça a abouti à quoi ? Les autres sont venus avec des armes et ils ont gagné. Maintenant, il faut les laisser travailler».21 C'est un cri du cœur général : «Laisse travailler Kabila ! » Mayikisa Okun-dalemba est cireur de chaussures. « Tshisekedi se plaint qu 'il y a des Rwandais dans le gouvernement. Mais avant, il y avait des Zaïrois et qu 'est-ce qu 'ils ont fait ? Rien. Qu 'il laisse Kabila faire son travail.,22 Du 16 au 20 juin 1997, tout juste un mois après l'entrée de l'armée de libération à Kinshasa, 213 personnes se réunissent pour le Colloque nationale de la Société Civile congolaise. Chose curieuse, cette dernière, prétendant représenter une société complètement ravagée et ruinée, ne manque pas d'argent. Elle a payé des billets d'avions pour 25 invités étrangers de huit pays dont l'Afrique du Sud, l'Ouganda, la Suisse, l'Angleterre, la France, mais surtout les Etats-Unis et le Canada, avec 5 représentants chacun et la Belgique, présente avec 9 personnes. Puis il y a eu 75 vols à payer à partir de Goma et Matadi, Bukavu et Kikwit, Kisangani et Lubumbashi, Mbuji-Mayi et Mbandaka. D'où viennent les fonds? La composition du Comité d'organisation de ce colloque «congolais » nous donne des indications : sur ses 9 membres, il y a deux Américains, Mme Gay Me Dougall du International Human Rights Law Group et Peter Rosenblum de Harvard Human Rights, puis trois délégués de l'organisation suisse Synergie Africa. Les organisateurs congolais remercient pour leur contribution financière deux organisations canadiennes dont le Centre International des Droits de l'Homme et du D éveloppement Démocratique ainsi que les coopérations belge et japonaise...De la lecture des Actes du Colloque, qui compte 216 pages, un point se dégage: «L'impérialisme, on ne connaît pas ! » Toute la manipulation étrangère de la Société Civile et toute son orientation opportuniste s'expriment dans ces interminables pages qui parlent de tout, sauf du trait essentiel de la situation économique et politique du Congo-Zaïre : sa domination par les puissances impérialistes. Dans son discours d'introduction, Hamuli commence par affirmer que les pays africains ont longtemps «vécu des systèmes monolithiques et totalitaires», mais que, grâce au «vent de la perestroïka», ils se sont «résolus à l'instauration de sociétés démocratiques ».23 Dès 1990, des observateurs lucides ont écrit que la perestroïka n'était qu'une contre-révolution menée avec l'appui massif de toutes les puissances impérialistes. Ils prévoyaient que la restauration du capitalisme en Union soviétique aurait des conséquences dramatiques pour l'indépendance des pays du tiers monde. La preuve en fut immédiatement donnée: la guerre barbare menée par l'OTAN contre l'Irak pour le contrôle du pétrole du Moyen Orient. Ne craignant plus des révolutions antiimpérialistes en Afrique, l'impérialisme décida de changer ses formes de domination et de passer du néocolonialisme sous forme dictatoriale à un néocolonialisme animé par plusieurs partis pro-impérialistes. Au Congo, l'opposition anti-impérialiste, regroupée dans la Mouvance Progressiste, déclara dès octobre 1991 que l'Occident voulait simplement transformer le monopartisme mobutiste en multi-mobutisme... Quand Hamuli énumère dans son introduction les «principaux points à examiner», il fait passer toute la salade habituelle de la propagande américaine : « les droits de l'homme, la démocratie, l'Etat de droit, les élections et un développement durable ». Mais il ne pipe mot sur l'essentiel : le combat pour débarrasser le Congo et l'Afrique de la domination économique, militaire, politique et culturelle de l'impérialisme, domination plus totale encore depuis le passage de l'ex-Union soviétique dans le camp capitaliste. Deux discours marquent l'orientation que les stratèges des grandes puissances veulent promouvoir dans la Société Civile congolaise. Le premier est celui de Mme Gay Mac Dougall, directrice du International Human Rights Law Group basé à Washington.24 Elle évoque les «décennies de corruption par des gouvernements monopartistes et autoritaires». Mais qui ignore, à part Mme Gay Mac Dougall, que c'est bel et bien l'impérialisme américain qui a imposé, en 1964-1965, par la terreur et dans le sang, la dictature néocoloniale au Congo ? Qui ignore que l'impérialisme américain a maintenu ce système aussi longtemps que « ses » intérêts au Congo étaient « menacés » par les forces nationalistes congolaises, appuyées par des pays socialistes et anti-impérialistes? Madame Gay Me Dougall veut faire croire que «vers 1990, le continent a vécu une sorte de tremblement politique qui a secoué les fondements des despotes». Mais qui ignore que ce «pseudo-tremblement» a été initié par la France à travers ses «Confé- rences Nationales»? Mitterrand cherchait à établir une nouvelle «légitimité» à ses protectorats néocoloniaux. Qui ignore que des Présidents «dictateurs» sont devenus des Présidents «démocratiques» grâce à ces Conférences Nationales et les élections qui s'en sont suivies? Eyadema au Togo, Kerekou au Bénin. Et au Congo-zaïre, Mobutu disait sa certitude de gagner les élections «transparentes» prévues pour 1997... On ne peut rien comprendre à l'Afrique actuelle, sans étudier la stratégie économique, politique et militaire de l'impérialisme qui détermine la situation globale du continent. La rhétorique «démocratique» sert à couvrir l'instrumentalisation des partis politiques et de la Société Civile, qui sont pris en main, payés et « éduqués » pour instaurer une domination néocoloniale plus habile, efficace et stable. Pour Mme Gay Mac Dougall, «l'émergence de nouveaux partis politiques » n'a pas assuré une base populaire assez large aux nouveaux régimes africains. «Les citoyens ordinaires n'avaient toujours rien qui les liait à l'Etat qui les dirigeait.» Dans son optique, la Société Civile qui comprend des groupes de droits de l'homme, des églises et des associations d'hommes d'affaires, etc. constitue «une force neutre» qui fournit justement aux citoyens ce lien avec l'Etat néocolonial. Elle ne pouvait s'exprimer plus clairement. Pour elle, la Société Civile sert à subordonner les masses populaires à l'Etat néocolonial, à leur inculquer la « confiance » dans cet instrument décisif par lequel passe le contrôle impérialiste sur les pays africains. La notion de Société Civile sert à élargir, au-delà des partis politiques, la base de masse sur laquelle l'Etat néocolonial peut s'appuyer. «La Société Civile», «la démocratie», «l'Etat de droit», «les droits de l'homme» font partie des concepts élaborés par les théologues de l'impérialisme pour occulter les réalités essentielles en Afrique. La réalité fondamentale est la domination impérialiste, dans les domaines économique, politique, militaire et culturel et son complément, la réalité dérivée est l'existence d'une bourgeoisie néocoloniale, liée aux multinationales étrangères et s'enrichissant grâce au contrôle de l'appareil d'Etat. Mme Gay Mac Dougall a été envoyée au Congo par les Services américains pour rendre impossible l'accomplissement de ces deux tâches vitales: libérer la nation de la domination impérialiste et libérer les masses populaires de la domination exercée par la grande bourgeoisie parasitaire, inféodée à l'Occident. Mme Gay Mac Dougall avoue que depuis 1995, à partir de Goma, «nous avons mis sur pied des groupes locaux de la Société Civile, spécialement des groupes des droits de l'homme». Il s'agissait d'éduquer la population «sur ses droits constitutionnels et devoirs civiques». Tout cet activisme américain devait conduire à l'installation au Congo d'une «démocratie significative » ou encore d'une «démocratie totale» pour atteindre «une harmonie démocratique»... et tout cela dans un environnement mondial qui voit la domination impérialiste s'intensifier dans tous les domaines ! Le discours de Vasu Gounden, le directeur de ACCORD, en Afrique du Sud, met encore plus nettement en évidence la stratégie américaine pour faire de la «Société Civile» une seconde classe d'hommes politiques au service du néocolonialisme.25 A partir de 1980, l'impérialisme américain a libéré des fonds immenses pour préparer un passage en douceur de l'apartheid à la «démocratie», tout en maintenant la domination économique de la grande bourgeoisie blanche sud-africaine, très liée aux intérêts anglo-saxons. Vasu Gounden affirme qu'en 1983, plus de 20.000 organismes de la Société Civile ont formé le United Démocratie Forum. Après l'élection de Mandela en 1994, « des leaders de la Société Civile sont allés occuper des postes au gouvernement... ils constituent, à vrai dire, le moteur du gouvernement». «La Société Civile est engagée dans le processus d'élaboration politique. » Vasu Gounden nous apprend que son «ONG» s'occupe des problèmes de la sécurité et de la paix et qu'il a créé « un forum commun » avec le ministère de la Défense et celui des Affaires étrangères... «La Société Civile a vraiment influencé la politique de défense notamment en interdisant la prolifération des mines anti-personnelles». La fameuse ONG de monsieur Gounden s'occupe des mines... pour mieux cacher l'essentiel: l'armée sud-africaine est, aujourd'hui plus encore que sous le régime de l'apartheid, subordonnée à la politique américaine qui compte faire de l'Afrique du Sud son gendarme en Afrique noire... Quatre thèses formulées par ce Colloque de la Société Civile montrent que les défenseurs de l'ancien ordre néocolonial ont lourdement pesé sur ses travaux. Prenant la défense des politiciens qui ont pourri la «sortie de la dictature» de 1990 à 1997, la Commission sur la Transition Démocratique affirme: «La plupart des problèmes proviennent de l'état piteux dans lequel le régime dictatorial a laissé le pays et de laprise du pouvoir par la force par l'AFDL».26 Mais sans la lutte armée menée par Laurent-Désiré Kabila et ses hommes, ni Mobutu, ni les mobutistes, ni le mobutisme n'auraient été chassé du pouvoir. Comme ce fait est largement reconnu par le peuple, les défenseurs de l'ordre ancien adoptent une nouvelle tactique pour combattre les changements radicaux. Ils essaient de «confisquer» la victoire populaire obtenue par les armes. «La guerre de libération est venue parachever un processus préexistant. »27 «Toutes les forces sociales et démocratiques s'étaient pleinement investies dans la préparation de la population à cette libération.»2^ C'est un mensonge qui ne résiste pas à l'analyse détaillée de la Transition, comme nous le verrons dans le chapitre suivant. Mais les visées politiques de cette affirmation sont claires : si les politiciens magouilleurs qui ont peuplé la transition de 1990 au 17 mai 1997, ont «préparé les esprits à la guerre de libération», il est logique qu'ils revendiquent leur participation au nouveau pouvoir... qui, du coup, n'aurait plus rien de nouveau...La Commission sur la Transition Démocratique critique «l'exclusion du gouvernement des grandes forces politiques».29 Elle recommande « que la Société Civile prenne ses responsabilités en organisant le dialogue entre l'AFDL et les autres forces politiques ».30 Aux yeux des puissances impérialistes, la Société Civile est une force «neutre» qui pourra sauver les partis politiques lourdement compromis avec la dictature néocoloniale. En effet, la Synthèse générale des travaux demande « la participation des autres partis politiques à la gestion de la chose publique»?1Kabila savait qu'une rupture radicale était impossible en maintenant le personnel politique néocolonial qui a causé le désastre zaïrois. Kabila a demandé deux ans, un minimum absolu, pour remettre un peu d'ordre dans le pays et pour permettre au peuple déjuger les hommes politiques de l'ancien et du nouveau régime lors des élections. Depuis le début de la lutte de l'AFDL, toute la stratégie américaine était axée sur l'imposition d'un gouvernement de coalition entre nationalistes, mobutistes et anciens mobutistes qui se font passer pour des «opposants». La Société Civile embrasse cette stratégie américaine, un mois seulement après la libération. La Synthèse générale recommande la Constitution de Luluabourg de 1964 et l'Acte Constitutionnel élaboré par le Haut Conseil de la République-Parlement de Transition, HCR-PT, comme sources d'inspiration pour la nouvelle constitution.32 Or, la Constitution de Luluabourg a permis à Adoula et Tshombe d'imposer au cours des années 1964-1965, en toute «légalité constitutionnelle», l'Etat d'exception dans presque tout le pays et d'organiser, avec l'aide des mercenaires et des armées belge et américaine, une terreur sanglante contre les populations nationalistes. Plus de 400.000 jeunes nationalistes ont laissé leur vie sur l'autel de la Constitution de Luluabourg... La Constitution du HCR-PT est issue du compromis entre les «faux opposants» qui ont dominé la CNS et les fidèles de Mobutu des Forces du Conclave. La Synthèse de la Commission sur la Transition Démocratique va jusqu'à affirmer que les textes constitutionnels de la transition, réalisés sous l'autorité suprême de Mobutu, sont «la source même de la légitimité du pouvoir»?3 Finalement, le texte sur «Le suivi du Colloque» prévoit «des actions en direction des gouvernements qui semblent parrainer les autorités actuelles», et notamment des USA, de l'Afrique du Sud et de l'Ouganda. « Ces gouvernements doivent arriver à exiger des autorités actuelles le respect des règles de bonne gouvernance.»^ Pour les dirigeants qui veulent affranchir leur pays de la domination économique et politique étrangère, les «règles de bonne gouvernance» ne sont certainement pas les mêmes que celles qui permettent à l'Occident de maintenir sa domination sur ce pays... En demandant aux Etats-Unis d'imposer à Kabila leurs «règles de bonne gouvernance», la Société Civile se présente comme une force néocoloniale loyale... J'ai suivi tous ces événements à partir de Bruxelles, impatient de pouvoir enfin fouler le sol d'un pays sur lequel j'ai beaucoup écrit. Nous ne savions pas quelle était la situation sur le terrain et mon ami Tony Busselen s'y est rendu en éclaireur. Dans des circonstances extrêmement difficiles, il a abattu un travail énorme à Kinshasa et il me ramena un mot du commandant Munene, le cousin de Pierre Mulele, me sommant de venir rapidement. C est ainsi que le jeudi 26 juin 1997, j ' ai pour la première fois dans ma vie pris l'avion pour Kinshasa. Sous Mobutu, je ne pouvais pas entrer dans l'ancien Congo belge. Pour écrire le livre Pierre Mulele ou la seconde vie de Patrice Lumumba, je me suis rendu à Braz- zaville pour y interroger des partisans de Mulele. En juillet 1985, j'étais à Brazzaville pour présenter aux anciens maquisards du Kwilu et aux autorités du Parti du Travail du Congo le livre qui venait de sortir. Le 2 août, je sortais du Palais des Congrès où j'avais eu une discussion avec Camille Bongou, alors secrétaire général près du Président du PTC. Un agent est venu me chercher pour une «formalité» et il me conduisit... au bâtiment central de la Sécurité. On m'y a mis dans un coin en attendant d'être expulsé du Congo. Personne ne m'en donna la raison. Vers 16h30, le colonel Ngolon-dele, chef de la Sécurité, qui passait par là, a été annoncé par un long cri terrifiant qui fit sursauter tous les agents au garde-à-vous. Le colonel m'a reconnu et dit aux agents : «Mais qu 'est-ce qu 'il fait ici ? Ce n 'est pas responsable. Il peut retourner chez lui et vous allez le chercher à 20h00 pour le conduire à Maya Maya. Vous le mettrez dans le salon d'honneur...». Des amis m'ont dit que Mokolo wa Pombo, chef des Services de sécurité de Mobutu, était à Brazza du 27 au 31 juillet. Ceci expliquant cela. Ce soir-là, j'ai été expulsé via le Salon d'Honneur de l'aéroport... Abo m'accompagnait et nous voulions entrer dans le Salon. Un militaire vigilant regarda les pieds d'Abo: «Madame, il est interdit d'entrer au Salon d'Honneur avec des sandales!» Et Abo est partie... Le vendredi 27 juin 1997, je me trouve donc pour la toute première fois sur le territoire congolais. Juliana Lumumba, la vice-ministre de la Culture, m'avait téléphoné quelques jours auparavant pour me demander d'apporter une série de diapositives sur l'indépendance du Congo que j'avais réalisé il y a une quinzaine d'années. Elle me dit: «Aujourd'hui, elles pourront servir.» En effet, la plupart des Congolais qui ont grandi sous Mobutu, ne connaissent pas les luttes populaires qui ont permis d'arracher l'indépendance. Ils n'ont jamais vu une photo de Mpolo, Okito, Mbuyu, Nzuzi, Elengesa, Muzungu, Tchimanga, Mulele, Mukwidi, Mitudidi et d'autres nationalistes révolutionnaires des années soixante. Beaucoup ne savent même pas reconnaître le visage de Patrice Lumumba... Nous avons travaillé avec acharnement une journée et une nuit pour mettre les images et commentaires sur vidéo. Juliana devait m'attendre à l'aéroport. Mais elle n'y est pas et je me vois confisquer par les «services compétents» mes cassettes pour vérification de leur contenu. Je sors de l'aéroport avec une réelle inquiétude. Je passe avec mes valises devant un homme en uniforme posté à la porte de sortie. Ce dernier me gronde : «Comment, Ludo, tu ne me reconnais plus ?» Il y avait de quoi. Arsène Loangi, une vieille connaissance de la diaspora congolaise à Bruxelles, est méconnaissable sous son grand képi de commandant de police ! Il propose de me conduire dans sa Mercedes noire. Après vingt minutes de route, nous devons nous arrêter devant des policiers et des sroupes déjeunes courant sur le Boulevard Lumumba dans tous les sens. Nous nous trouvons à Limete. Impossible de continuer sur le Boulevard Lumumba. La Mercedes s'engage sur un chemin de terre bordé de maisons. Entre les voitures court une foule dense, elle aussi détournée ou chassée par la police. Brusquement, le moteur s'arrête. Plus d'essence! Nous poussons la grosse bagnole. Heureusement, le propriétaire d'une grande villa ouvre sa porte pour nous permettre d'entrer la voiture dans la cour intérieure. Notre hôte, le major Bofende, a suivi l'école militaire à Bruxelles. Il a terminé ses études en 1972 et a été mis en «retraite anticipée» dès le début des années quatre-vingt, après l'exécution du major Kalume, accusé de complot. Tous les officiers originaires du Bandundu ont été écartés. Le major Bofende explique : « Ceux qui étaient compétents ont été chassés. Seules les créatures politiques de Mobutu ont reçu des responsabilités et des promotions. Elles ont ruiné l'armée et le pays ». Tout à coup, nous entendons à une certaine distance le bruit de fusillades nourries, puis, devant la porte de la parcelle, des cris et les pas d'une masse en fuite. Les coups de fusils se rapprochent. A travers un trou dans le mur, nous voyons un véhicule de l'armée s'arrêter juste devant la maison. Sept jeunes gens arrêtés sont assis dans la benne. Arsène Loangi sort demander un peu d'essence aux militaires. Mais eux-mêmes sont quasiment à sec. Arsène rentre bredouille et au bout de dix minutes, le calme revient, les militaires ont disparu. Cinq minutes plus tard, la villa de notre hôte est assiégée par une foule de 200 jeunes, battant des poings sur la porte métallique, hurlant des menaces : «11 y a ici un militaire de l'Alliance, nous sommes venus le chercher». En sortant pour parler aux militaires, Arsène était vêtu d'un T-shirt militaire... Arsène craint de se faire lyncher. Il tente d'appeler la police via son téléphone cellulaire. Mais les piles sont plates ! Son visage transpire d'angoisse. Je sors une chemise rosé de ma valise pour qu'Arsène se débarrasse de son aspect militaire. Entretemps, le major Bofende et toute sa famille sont sortis de la parcelle et tentent d'apaiser les jeunes excités. Une fille du major nous explique que des partisans de Tshise-kedi, dont la maison se trouve un peu plus loin, ont complètement démoli la station à essence et incendié un camion et deux voitures. L'armée est intervenue afin de disperser l'émeute. Un peu plus tard, et après maintes palabres devant la porte, nos assaillants se retirent vers les quartiers pauvres, juste derrière le coin. En reprenant la route vers le centre ville, je vois deux carcasses de voitures fumantes... C'était une arrivée bien mouvementée au Congo. Arsène me dit : « Si nous laissons faire ces partis de la Transition, en un minimum de temps nous aurons l'anarchie la plus totale avec des fusillades un peu partout. Les mobutistes cachent encore beaucoup d'armes. » Arsène m'apprend qu'il y a une semaine, le 20 juin, des centaines de personnes parties de Masina ont organisé une manifestation devant la maison de Tshisekedi. Le journal Salongo s'est félicité que ces «combattants» qui bravent l'interdiction de manifester, «fragilisent la crédibilité et l'efficacité de l'autorité»?5 L'émeute dans laquelle nous avons été pris, est le résultat des événements d'hier, jeudi 26 juin 1997. A l'université, Tshisekedi a fait un discours devant quelques milliers d'étudiants, malgré la suspension des activités politiques. Le soir, des militaires sont allés Y appréhender à son domicile. Sur quoi ses partisans ont incendié trois voitures et un bus. Tshisekedi a pu rentrer chez lui peu avant minuit. Mais ce matin, lorsque nous avons traversé le quartier, le climat était toujours tendu : trois camions et deux voitures ont été détruits par le feu.36 Dimanche 29 juin 1997. Etrange rencontre avec le général Faustin Munene. Je ne l'avais jamais vu, même pas en photo. Et pourtant, nous sommes tombés dans les bras l'un de l'autre comme des frères après de longues années de séparation. Nous avons un point de repère commun qui se situe en 1968. Le 15 mars de cette année-là, à Louvain, le Mouvement Syndical Estudiantin organise une conférence sur la révolution congolaise. Nous avons alors un «Groupe de Travail Congo» doublement mixte: Congolais et Belges, mais surtout, parce qu'excessivement rare à l'époque : Flamands et Wallons... L'orateur est Arnold Hauwaert, à peine revenu du Congo. C'est la première fois que nous avons entendu évoquer l'histoire du maquis de l'Ouest, dirigé par Pierre Mulele... Hauwaert dit aussi quelques mots sur le maquis de l'Est, dirigé par Kabila qui a eu l'honneur d'accueillir Che Guevara. Presque dix ans plus tard, en 1979, nous avons invité Laurent Kabila, le président du Parti de la Révolution Populaire, au congrès de fondation du Parti du Travail de Belgique. Nous avons discuté des différentes formes d'aide que nous pourrions apporter aux combattants congolais. Kabila estimait que l'aide idéologique et politique était la plus importante. Et c'est ainsi que j'ai commencé à travailler sur l'histoire du maquis de l'Ouest, dirigé par Pierre Mulele, le maquis le plus homogène où le commandant en chef était resté cinq ans avec la population. En 1985, le livre Pierre Mulele ou la seconde vie de Patrice Lumumba est sorti de l'imprimerie. Pour le jeune Faustin Munene, tout a commencé également en 1968. Il avait 17 ans à l'époque. Le 2 octobre, il a été enfermé au Camp Kokolo à Kinshasa en compagnie de son oncle Pierre Mulele et d'une vingtaine d'autres personnes. Mulele a pu encore échanger quelques mots avec son neveu, qu'il considérait comme son propre fils: «Ils vont m'assassiner, mais si tu poursuis ma lutte, je mourrais la conscience en paix. » A minuit, des prisonniers ont entendu Mulele hurler pour que tous l'entendent: «Ils sont venus me prendre, ils vont me tuer! » Cette nuit-là, Mulele, vivant, a été taillé en morceaux à la machette... Faustin Munene est resté incarcéré pendant neuf mois et c'est alors qu'il prit la décision de poursuivre la révolution commencée par son oncle... Lorsque ce dimanche 29 juin 1997, je rencontre le général Faustin Munene dans son logement de l'Avenue Lukusa à Kinshasa, il me confie: «Les derniers mots de Pierre me sont toujours restés dans la tête, je leur ai consacré mon existence. Mais c 'est dans ton livre que j'ai appris à bien connaître le message politique de Pierre Mulele. Il y a une dizaine d'années, j'ai pu mettre la main dessus en Angola. » Au moment de notre première rencontre, Faustin Munene était vice-ministre de l'Intérieur chargé du maintien de l'ordre. Il me dit préparer la mise sur pieds d'une Police d'Intervention Rapide. Il y avait urgence... Trois jours plus tard, je bois une bière sur une terrasse à Kintambo Magasin en compagnie de deux amis. Brusquement, des détonations éclatent à proximité. Des coups secs se succèdent puis se transforment en fusillades. Quelqu'un dit, imperturbable: «C'est vraiment tout près». Je demande à mes amis: «Vous étiez tout aussi calmes, quand ça tirait du temps de Mobutu ?» «Ah non, alors, nous avions vraiment peur. Une troupe de soldats pouvait faire irruption dans ton quartier. Dans ce cas, ils tiraient d'abord en l'air comme des fous, puis pillaient les maisons. Si quelqu 'un ne les laissait pas entrer, il risquait de se faire abattre...» Partout on entend la même chose: les gens sont contents de Kabila parce qu'il a mis fin à l'arbitraire militaire omniprésent. J'ai pris l'habitude d'interroger le chauffeur chaque fois que je prends un taxi. Les conducteurs de taxi sont d'excellents informateurs: ils peuvent être professeur d'université, ancien militaire, fonctionnaire, enseignant... Ici, l'Etat ne paie pas ses fonctionnaires. Un chauffeur m'a dit: «Du temps de Mobutu, c 'était un métier dangereux, surtout la nuit. Deux fois j'ai été arrêté par des militaires qui m'ont pris tout l'argent que je venais de gagner, mais aussi ma chemise, mon pantalon et mes chaussures !» Un autre : «Quand tu avais une affaire en justice et tu n'avais pas d'argent, c'était perdu d'avance. Avec Kabila, si tu as raison, la justice te donnera raison. Maintenant, on montre à la télévision des bandits qui ont fait des attaques à main armée, qui ont fabriqué de faux dollars. Nous n 'avons jamais vu ça sous Mobutu.» Un informaticien qui tourne aussi en taxi raconte sa petite histoire: «Un jour, je sortais d'un magasin où je venais d'acheter une petite radio. Un militaire m'avait observé de l'autre côté de la rue. Il m'a ordonné de lui remettre la radio et est parti avec...» Un étudiant: «Maintenant, on peut se balader calmement avec un sac en plastique à la main. Avant, si tu tombais sur un soldat, il te demandait de l'ouvrir et il se servait...» M'bi Tumu dirige une entreprise de matériaux de construction qui emploie plus de cinquante personnes. Il vient de la même région que Mulele et veut absolument lire Abo, une femme du Congo, sur la vie de la compagne de Mulele. Il peut payer les vingt dollars. Il m'emmène à son bureau, un bâtiment de trois étages. Sous Mobutu, il a été professeur, mais est devenu gendarme: ça payait mieux. Ensuite, il a pris du service dans l'armée. Après l'exécution de Kalume, il a été limogé comme tous les militaires du Bandundu. Pour survivre, il allait acheter de la « chikwangue » - préparation spéciale de manioc - au Bas-Congo pour la vendre à Kinshasa. Il a développé son commerce et au bout d'une dizaine d'années, il s'est trouvé à la tête de cette moyenne entreprise. «C'est en travaillant durement que j'ai pu monter tout ça. Mobutu pensait qu'il n'y avait pas de vie possible en dehors de l'armée. Mais depuis plus de cinq ans, mes anciens collègues de l'armée connaissent une misère noire. Ils se sont mis à voler jus-qu 'à ce qu 'il n 'y ait plus rien eu à voler. En 1992, j'avais acheté une magnifique Jeep blanche : six mois de revenus. Dès le premier jour en ville, j'ai été arrêté par un groupe de soldats. Ils m'ont entouré et m'ont dit : "Allez! File-nous les clés !"... J'aipudire adieu à ma jeep. C'est ainsi que nous vivions, à l'époque.» Un jour, j'ai fait un déplacement avec la voiture d'un ami et j'ai entamé une conversation avec le chauffeur. Il a étudié à l'Institut Supérieur de Techniques Appliquées. Sans travail, l'année passée il s'est rendu en Angola, creuser des diamants. Ils eut quatre «frères en Jésus Christ» et le pasteur dirigeait le petit groupe. Il y a beaucoup de diamants dans le lit des rivières. Il fallait plonger à 20 mètres de profon- :. Il y avait souvent des morts parce que le matériel était déficient et les tuyaux arrachés ou bloqués. Des Congolais étaient aussi tués par des hommes de l'UNITA qui volaient leurs pierres précieuses. Les quatre croyants avaient trouvé quelques belles pièces. Pour ne pas devoir payer d'impôts à la frontière, ils ont enveloppé les diamants dans une sorte de plastique qu'ils ont chauffé avec une chandelle. Ils ont avalé les pierres précieuses avec du fufu, une préparation à base de manioc. Le chauffeur en avait avalé trois, ses amis cinq. Ils avaient réalisé une moisson de 145.000 dollars. Mais au retour à Kinshasa, le «chef en Jésus Christ» a tout volé. Il n'a rien laissé à ses disciples. Ces derniers sont allés en justice, mais le chef avait assez d'argent pour corrompre les fonctionnaires. Cette histoire de misère, de mort et de magouilles eut quand-même une fin positive : justice a été faite au pasteur-voleur. Et de quelle façon ! Le général Baramoto a eu vent de ces 145.000 dollars. Il a convoqué le pasteur-voleur et lui a confisqué tous ses avoirs... Ainsi, les «Zaïrois» ont vécu de longues années sous le règne de la criminalité des chefs mobutistes et des hommes en uniforme. Eradiquer une telle tradition n'était déjà pas une mince affaire. Or, juste après la libération, la situation s'est encore compliquée... Avant l'entrée des troupes de Kabila, les mobutistes ont ouvert les portes de toutes les prisons. Des milliers de bandits ont pris le large. La prison militaire de Ndolo qui hébergeait 250 détenus s'est vidée. A Makala, plus de 2.000 prisonniers dont quelques 500 voleurs à main armée se sont évadés. On a libéré les brigands des cachots de la gendarmerie, de la Garde civile, du SARM et de la DSP. Des ex-FAZ ont jeté leur uniforme... mais ont jalousement gardé leurs armes et munitions. Pendant deux mois, bandits et anciens soldats menaceront gravement la sécurité des Kinois. Des bandes d'ex-militaires et de bandits se sont formées dans les quartiers populaires. Ils y ont aménagé des caches d'armes et sortaient de leurs planques pour récupérer de la nourriture, de l'argent ou une voiture...37 De Yolo à Lingwala, ces groupes se cachent dans des maisons abandonnées. Des hommes armés jusqu'aux dents opèrent presque chaque nuit... A la mi-juin, la commune de Lingwala, face à la Radio Télévision Nationale Congolaise, ne connaît pas un seul jour sans attaque à main armée. Une bande de malfaiteurs bien organisée opérait hier à Kalembe-Lembe, avant hier sur l'Avenue Kabinda, et les avenues Buta, Aketi et Kabalo ont déjà été servies...38 Pour faire une arrestation dans ces repaires de malfaiteurs, il faut tout un peloton bien armé... Après l'arrivée de l'AFDL, les unités spécialisées dans la lutte contre le banditisme, le B2 (l'Etat-Major de la gendarmerie nationale) et la BSRS (la Brigade Spéciale de Recherche et de Surveillance) ont été dissoutes, les spécialistes de ces services réduits au chômage. Il n'y avait même plus une structure provisoire pour s'attaquer au grand banditisme.39 Depuis les grandes messes de la CNS, le peuple avait perdu toute confiance dans l'Etat néocolonial. Il avait appris que face aux dangers, il ne peut compter que sur ses propres forces. Des brigands arrêtés par la population sont interrogés, molestés et puis brûlés. «Des tribunaux populaires constitués par des jeunes des quartiers, ont prononcé plusieurs condamnations à mort et exécuté publiquement et sommairement des bandits à main armée. Chaque matin, on trouvait dans les rues de Kinshasa des cadavres de malfaiteurs calcinés. A côté des corps, des biens volés qui servaient de pièces à conviction. »40 Le 20 mai 1997, deux proches de l'ancien dictateur, les généraux Elesse et Amela Lokima Bahati, sont sortis de leur cachette. La population s'apprête à les brûler vifs, un pneu au cou, lorsque des hommes de l'AFDL interviennent pour les sauver....41 En juin 1997, la population des quartiers populaires de Kinshasa brûle vifs plusieurs membres de la Garde Civile et de la Division Spéciale Présidentielle. Le 16 juin, un membre détesté de la Garde Civile appelé «Apo», abréviation de «Apocalypse», connaît également le supplice du collier.42 Lorsque quatorze mois plus tard, des soldats Rwandais et Ougandais attaqueront Kinshasa, le peuple aura à nouveau recours au supplice du collier, l'arme ultime des situations désespérées. Le 22 juin 1997, face à l'explosion des actes de banditisme, le général Munene annonce que tout citoyen qui dispose d'une arme sans en avoir l'autorisation, doit la remettre dans un délai de trois jours...43 Au même moment, Munene rend opérationnelle la première unité motorisée de la Police d'Intervention Rapide...44 Mais pendant quelques semaines, les agressions mortelles continuent. Les journaux mentionnent 32 morts dans la seule nuit de dimanche à lundi, du 6 au 7 juillet. Les sources officielles déclarent que 13 personnes ont été assassinées. «Uex-Division Spéciale Présidentielle n'a pas encore dit son dernier mot», écrit Le Palmar ès. L'UDPS joue à fond la carte de l'intoxication et du racisme pour déstabiliser le pouvoir: «Un Tutsi de l'AFDL a été tué à Matete par la population. En représailles, un groupe de soldats de l'AFDL a tué treize personnes. »45 Au sein de l'Alliance, des voix s'élèvent en faveur d'une intervention radicale contre les unités armées clandestines de mobutistes, «sinon, nous risquons sous peu d'assister ici à des massacres organisés, comme au Libéria ou à Brazzaville».La maison où je loge, donne sur un large chemin. De chaque côté, deux rangées de femmes et déjeunes gens vendent de menues bricoles. Des milliers de personnes passent devant eux. De nombreuses ornières défoncent ce chemin en terre. Beaucoup de camions y passent, ils sont pratiquement obligés de s'arrêter, avant de plonger en tanguant dangereusement dans l'un ou l'autre grand trou gorgé d'eau... Kinshasa est en ruines, comme si la ville avait subi de lourds bombardements. On dirait que des obus ont provoqué partout de profonds cratères dans les routes asphaltées. Un soir, je prends un taxi avenue Kasavubu pour Kintambo Magasin. La dernière partie du trajet n'est qu'un enchaînement de trous géants que la nuit rend menaçants. Nous quittons une flaque d'eau de dix à quinze mètres de longueur pour plon- ger dans la suivante. Je vois un mini-bus bloqué au milieu d'un petit étang, les passagers s'en dégageant avec peine, l'eau leur montant presque aux genoux. Les transports à Kinshasa sont une véritable épouvante. C'est une ville immense et ies centaines de milliers de personnes sillonnent les rues à pied, parfois un lourd sac sur la tête. Les gens des quartiers extérieurs, de Ndjili, Kimbanseke et Masina, doivent parfois marcher deux heures pour se rendre à leur travail ou au marché. J'ai Bsist é à des scènes effrayantes lorsqu'une foule compacte prenait d'assaut un des rares autobus. Parmi les personnes qui se battaient violemment pour y entrer, des femmes portant un bébé sur le dos... Souvent, je me croyais dans un véritable cimetière ambulant: des carcasses complètement dénudées passaient devant moi sans feux, sans vitres, dans un vacarme de tonneau vide. Ce sont des taxis qui demandent -M3.000 zaïres (0,33 $) par course. On peut faire le même trajet en minibus pour 30.000 zaïres (0,25 $). Mais dans ce cas, une vingtaine de personnes s'entassent dans un véhicule qui ne peut normalement en transporter que quatorze.Les papiers et l'assurance des « taxis » sont très rarement en ordre. Début juillet, le gouvernement annonce que cette façon anarchique de conduire sera interdite prochainement. Trois jours plus tard, les agents de police immobilisent avec des chaînes un nombre impressionnant de minibus. En ville, l'émeute menace. Des dizaines de milliers de personnes s'entassent le long des routes sans moyen de se rendre à leur destination. Le soir, à la télé, le ministre annonce que le contrôle ne commencera que dans un mois... Certains bâtiments ont le même aspect que ceux de Kigali en 1994, directement après la guerre et le génocide. Dans les quartiers populaires, des tas d'ordures d'un demi mètre occupent le mitant des rues. Partout, des carcasses de voitures jonchent les rues, comme en Irak après les bombardements américains. 30 juin 1997, 03hl0, il fait nuit noire. Je me réveille en sursaut au bruit inquiétant de longues salves de mitrailleuses. L'Alliance m'héberge au Centre Catholique Nganda, dans le quartier Ma Campagne. Je m'y trouve en compagnie d'une soixantaine de Congolais revenus d'Europe pour apporter leur soutien à Kabila. L'allée d'accès est bordée de part et d'autre d'une double rangée de palmiers. C'est exactement ainsi que je me représentais un cloître congolais d'après les livres coloniaux. Nous logeons dans de petites cellules monacales donnant sur une cour intérieure. Les fusillades persistent et semblent se rapprocher. Je saute du lit, enfile mes vêtements et je sors de la petite cour vers le large espace au milieu du Centre Nganda. Parfois, des détonations sèches se succèdent lentement, sporadiquement. Puis, j'entend les bégaiements des mitrailleuses, et de temps à autre, des tirs provenant de deux directions différentes. Je consulte ma montre: jamais plus de sept secondes sans détonation. Tout à coup, j'entends tirer des balles tout près et on dirait qu'un groupe de militaires est arrivé devant l'entrée du Centre Nganda. J'aperçois haut dans le ciel des fusées rouges incendiaires. A l'horizon s'élève une autre série de fusées. Au Centre Nganda même, éclairé par des néons, plane un calme étrange. Je suis seul, personne d'autre n'a quitté sa chambre. Et je me retrouve sous un palmier à écouter le rythme bizarre du crépitement des détonations, qui semble à nouveau s'être éloigné. Le vent amène l'odeur de la poudre des balles dans ma direction, douce et pénétrante. Brusquement, un ouvrier en bleu de travail se dresse à mes côtés. Je lui demande : «Cette fusillade, peut-elle venir de Brazzaville»! «Non», répond-il, «c'est la direction du camp Tshatshi. » A 04h00 pile, tout s'arrête. Le lendemain, des amis me racontent comment ils ont vécu une heure d'angoisse extrême dans leur lit. La télé diffuse en permanence un message officiel : «La population ne doit se faire aucun souci à propos des fusillades qu 'on a pu entendre cette nuit. C'est la manière qu 'ont choisie nos soldats pour célébrer l'anniversaire de l'indépendance.» Les journaux prétendent qu'une mutinerie a été écrasée cette nuit au camp Tshatshi... Pour la première fois depuis de nombreuses années, le 30 juin, jour de l'indépendance, est de nouveau célébré. Mobutu avait supprimé la fête nationale congolaise, pour célébrer le 24 novembre, l'anniversaire de son coup d'Etat de 1965. Lorsque la cérémonie débute à midi, le stade des Martyrs est aux deux tiers vide. A trois heures, plus de la moitié du stade est plein. Les Présidents Rawlings du Ghana, Lissouba du Congo-Brazzaville, Patasse de la République Centrafricaine, Abdelaziz Mohamed de la Republique Arabe Sarahoui Démocratique, Ciluba de la Zambie et Sam Nujo-ma de la Namibie siègent à la tribune d'honneur. Etrangement, le seul a être ovationné est Lissouba. Il avait pourtant fermement soutenu Mobutu les derniers mois de son règne. Mais dans la guerre civile qui vient d'être déclenchée à Brazza, les Kinois estiment que Sassou Nguesso a les faveurs des anciens de la DSP en exil et de la France. Dans son discours, Kabila déclare que la reconstruction de son pays en ruines doit surtout profiter aux paysans et aux petites gens. Le gouvernement définira les priorités et y consacrera ses modestes moyens. La politique économique du Congo ne sera plus dictée par des instances étrangères, comme c'était le cas sous l'ancien régime. Les investissements étrangers sont les bienvenus pour autant qu'ils coïncident avec l'intérêt national congolais. S'adressant au peuple, il dit: «Aidez-nous à reconstruire le pays après avoir chassé le dictateur. Nous allons reconstruire le pays sans attendre les grands financiers du Nord et les institutions internationales. L'Etat sera à votre côté. Le pays est très riche et cette richesse doit servir au développement pour tous. Allons du rêve à la réalité. C'est la deuxième indépendance. » «Nous rappelons aux nations riches du Nord que leur prospérité et leur bien-être provient en grande partie de leur héritage colonial. Nous invitons tous les signataires du Traité de Berlin à apporter leur contribution à la renaissance et la reconstruction africaine. » En mai-juin 1997, Kabila doit encore trouver ses repères dans cette grande ville qu'est Kinshasa et s'habituer à une mentalité très différente de celle de l'intérieur du pays et notamment du Kivu. A Kin, les grands « opposants » à Mobutu, ceux qui ont mystifié le peuple pendant la «Transition», ont toujours une influence sur le peuple. Kabila se sent plus à l'aise à Bukavu. La différence se ressent bien dans le discours qu'il y fit récemment. Kabila, improvisant, parla en termes clairs de questions politiques essentielles. Il lui faudra un peu de temps pour parler avec la même assurance et simplicité aux Kinois. A Bukavu, le 15 juin, Kabila a fait comprendre à la population trois vérités. La première : Sans la lutte armée, il n'y aurait pas eu de liberté pour le peuple. La seconde: Les Américains ont voulu que le Gouvernement de Salut Public leur obéisse et qu'il accepte d'y placer leurs agents. La dernière : Ils exercent des pressions et traitent le Gouvernement de « dictatorial», mais nous reconstruirons le pays pour aller rapidement aux élections. «J'ai demandé à beaucoup de jeunes gens de s'enrôler dans l'armée. Nous leur avons appris nos objectifs politiques, les rudiments militaires comme le tir. Et nous leur avons dit que les mobutistes sont venus vous gouverner parce que vous aviez peur de prendre les armes. Le règne de Mobutu est tout à fait déraciné et mis hors d'état de nuire. Si les gens refusent l'esclavage, ils sont déterminés à chasser le maître des esclaves. La victoire de l'AFDL, c'est la victoire de tout le peuple. Parce que sans vous, il n'y aurait pas eu de victoire. » «C'est une victoire qui étonne tous les pays, même les grandes puissances. Nous avons vaincu Mobutu, et voilà pourquoi ils ont transformé leur étonnement en une grande haine. Eux croyaient que nous allions nous mettre à genoux pour mendier les Américains. Vous avez entendu leur pression sur nous : placez telle ou telle personne. Si vous ne mettez pas ces gens-là, alors il n 'y a pas de démocratie. Malgré les pressions de ces ambassadeurs qui nous enjoignaient de composer avec Kamanda, Tshisekedi, Kengo, nous avons formé un gouvernement tel que nous l'entendions. Ces gens-là sont arrivés à nous dire que si nous ne composons pas avec les Mobutistes, notre gouvernement ne sera pas reconnu. Je leur ai dit: c 'est de la blague ou quoi ? Ces gens que vous avez entretenu, qui ont appauvri ce peuple et pillé le pays ? Nous avons répliqué que notre préoccupation, c 'est la population et c 'est elle seule qui nous reconnaîtra. » «D'autres pressions continuent: il faut organiser tout de suite les élections. Mais pourquoi vous n 'avez jamais exigé aux autres la tenue des élections pendant les 7 années de transition ? Nous sommes arrivés le 17 mai et le 20, vous nous demandez déjà d'organiser les élections. Sans routes, sans ponts, avec les caisses vides. Et on me qualifie de dictateur. Ils sont habitués à injurier: Kabila dictateur, nous sommes gouvernés par des étrangers. Je me suis dit: ils ont été éduqués à mentir, à s'injurier, à ne rien faire sauf le désordre. Après la guerre militaire et la reconstruction, ce sont les élections qui nous attendent. Nous irons tous aux élections, ceux de l'AFDL comme ceux des autres partis. Mais pendant la période de transition, nous ne voulons pas de désordre..46 Au mois de juillet 1997, je retrouve à Kinshasa plusieurs militants congolais que j'ai connu comme réfugiés politiques à Brazzaville. J'ai rencontré Albert Muke à Brazza en 1983 chez son père, Félix Mukulubundu, ancien compagnon de lutte de Mulele. Albert ne comprend pas l'Alliance. «Ils ne foutent rien», dit-il. «Des tas de jeunes veulent faire quelque chose, mais l'Alliance les ignore. Les mobutistes ont pris le maquis, ils ont des armes et de l'argent. Dans le quartier de Yolo-Sud, je peux te montrer des maisons de prostituées où dorment pendant la journée d'anciens militaires. La nuit, ils commettent des attentats terroristes et des pillages. Une firme privée de surveillance, USD Sécurité, sert de couverture à de nombreux militaires de la DSP. L'Alliance ne peut survivre que si elle mobilise le peuple. Nous qui connaissons le terrain à Kinshasa sommes à même d'identifier les membres de la DSP et des Services secrets de Mobutu. Mais les gens de l'Alliance ne s'intéressent pas à nous. Est-ce qu'ils sont inconscients ? » Un jour en 1984, Antoine Katassa, ami de jeunesse de Pierre Mulele, m'avait emmené chez sa sœur Thérèse, femme élancée d'une quarantaine d'années. Quand je la revois à Kinshasa, treize années plus tard, elle me dira comment elle est devenue, entre temps, une célébrité kinoise... Thérèse était rentrée à Kinshasa en 1985 pour y implanter le PALU, le parti de Gizenga. Elle me dit: «J'ai assisté à la Conférence Nationale, c'était en 1991. Je suis arrivée, j'ai vu tout ce monde et je me suis dit que c' était falsifié dès le départ, que rien de sérieux ne pouvait en sortir. C'était une comédie de politiciens qui avaient toujours mangé des mains de Mobutu. Moi, j'étais rentrée à Kinshasa pour lutter. Le 23 juillet 1987, j'avais organisé la première manifestation contre Mobutu sur le Boulevard du 30 juin. Nous étions quatre femmes. Le régime de Mobutu avait peur de quatre femmes qui osaient braver ses lois. Il nous a mis en prison. Mais toute la ville a parlé de ces quatre femmes courageuses qui avaient osé défier la tyrannie. Le 19 avril 1988 nous avons remis cela, mais à dix. Ma mère a osé nous rejoindre. Ma fille Marie-Claire aussi, portant son bébé de deux semaines. Nous nous sommes tous retrouvés en prison, même le bébé et un autre de mes petit-fils de deux ans. En prison, les gardiens disaient: "Chez ces gens, même les bébés sont révolutionnaires". C'est de cette façon que j'ai implantéle Parti Lumumbiste Unifié à Kinshasa. Ce n'est qu'avec le temps que j'ai découvert que les politiciens ne cherchaient pas le fond mais l'accessoire. Je croyais que Gizenga était l'héritier de Lumumba, maisj 'ai découvert qu 'il ne faisait rien, il restait à la maison coupé du monde. L'obscurantisme et le mysticisme sont de graves problèmes chez nous. Nous n 'avons pas de bons leaders mais des aveugles et des aliénés qui sont convaincus qu 'eux seuls savent tout... Si quelqu 'un est un héritier de Lumumba, on doit le voir à sa pratique, s'il va vers la masse pour la donner des explications, pour la mobiliser etl 'organiser. Kabila aura la tâche très dure, nous devons l'aider. Nous voyons des mamans commerçantes qui, il y a quelques mois, étaient mobutistes de choc, mais qui portent maintenant des pagnes avec l'effigie de Kabila. Les inconditionnels de Mobutu, les "Bana Kin" et les "Mamans Musiki 100 kilo" tournent maintenant autour de l'AFDL. Mobutu a laissé des groupes avec de l'argentpour qu 'ils entrent chez Kabila. Ces gens commencent à flatter Kabila et cela donne une très mauvaise image parce que la masse les connaît comme des MPR. Ils font tout pour bloquer ceux qui peuvent apporter la vraie politique nationaliste à la masse. »47 Ainsi, dès les premiers mois du nouveau pouvoir, plusieurs militants nationalistes m'ont averti que les mobutistes s'efforcent d'infiltrer l'Alliance, souvent avec succès. Dans l'avion vers Kinshasa, j'avais déjà rencontré Muteba, opposant bien connu en France et à Bruxelles. « J'ai suivi la prestation de serment de Kabila à la télé», me dit-il. «Quelle n'a pas été ma stupéfaction de voir, à deux pas de Kabila, le militaire qui m'a torturé en prison ! » Dans les semaines qui ont suivi la libération, des bureaux de l'AFDL ont été erts dans beaucoup de quartiers de Kinshasa. Les gens viennent s'y inscrire. Mais Les initiateurs sont des inconnus au niveau des organes dirigeants ! Souvent ce sont : anciens mobutistes qui se recyclent...48 Un soir de juillet 1997, je sors en voiture de la cité de la Voix du Peuple. Un Euro-~ z i n se dirige vers nous. « Un ami belge », dit le chauffeur, « il a installé l'émetteur de Télévision à Kikwit». L'homme vient de vivre une aventure étrange et pénible. Deux jours plus tôt, il a été arrêté par trois militaires de l'Alliance. Ils l'ont accusé d'être entré en possession d'une Porsche ayant appartenu à un fils de Mobutu. Ils exigeaient 20.000 dollars en échange de sa libération. Dix heures plus tard, la rançon était descendue à 10.000 dollars. Après trente heures sans boire ni manger, le Belge a recouvré sa liberté contre paiement de 2.500 dollars. «N'y a-t-il donc rien de changé?» s'exclame-t-il. Mes amis lui conseillent de porter plainte. «Attends d'abord la fin de l'histoire », dit la victime. « Ce matin, je suis de nouveau tombé sur ces trois soldats à l'Hôtel Intercontinental. Et savez-vous qui était leur chef? Kibinda! » Vive animation dans la voiture. Un ami de la diaspora parisienne intervient: «Kibinda! Encore un mobutiste infiltré! Kibinda se faisait passer pour un lumumbiste dans l'opposition zaïroise à Paris et à Bruxelles. Il a été démasqué. Mais aujourd'hui, il est devenu un personnage important des nouveaux Services de sécurité... » Le mot de la fin revient au chauffeur : « II est grand temps défaire le nettoyage, sinon on aura bientôt un trou dans le crâne. »L'Hôtel Intercontinental a été un haut lieu de reconversions spectaculaires. Un jour, j'y ai entendu un monsieur parler de façon très éloquente du maquis de Pierre Mulele. Intrigué, j'ai demandé à des amis s'ils connaissaient l'homme. L'un me répondit: «C'est un professeur de l'Université Protestante. Fin 1996, il a appelé ses étudiants à s'engager dans l'armée pour aller combattre les rebelles de Kabila à l'Est... » Lambert Mende passait au cours des années quatre-vingt pour un mobutiste infiltré dans les milieux lumumbistes à Bruxelles. En 1991, c'est lui qui annonça au nom de Mobutu la convocation d'une Conférence Nationale. Un jour, je suis entré dans l'ascenseur de l'Intercontinental et me suis retrouvé nez à nez avec Mende. Nous avons monté six étages sans dire un mot. Plus tard, j'apprenais qu'il fréquentait à nouveau assidûment le milieu de Juliana Lumumba afin de rappeler à tous son passé « lumumbiste»... N'ayant pas réussi son entrée chez les kabilistes, il s'engagera en 1998 dans la rébellion pro-américaine... Un dirigeant de l'Alliance, observant le ballet surréaliste des anciens mobutistes détaillant leur passé nationaliste et leur professionnalisme, dit: «Tous ceux-là ont mangé hier et avant-hier. Ils veulent encore manger aujourd'hui et demain sans avoir digéré. Qu'allons-nous faire de tous ces gens? » 49 - • -, ... . ..A Kinshasa, il est impossible d'oublier la guerre de Brazzaville, de l'autre côté du fleuve Congo. Chaque jour, une série d'explosions lourdes secouent l'espace. En face, deux milices rivales s'affrontent à l'artillerie lourde. On imagine la boucherie parmi la population civile. Tout le monde à Kinshasa a des parents et des amis sur l'autre rive. Mais les liaisons téléphoniques sont interrompues depuis début juin. Impossible de savoir quels quartiers de Brazza sont frappés par les bombes. La précision est en tout cas absente : trois obus au moins sont tombés sur Kinshasa, dont un à proximité de la résidence de Kabila. S'agit-il d'erreurs, de provocations ou de préparatifs à la guerre contre Kinshasa ? Brazzaville est la meilleure réfutation du mensonge de la « démocratie » importée en Afrique grâce à la chute du mur de Berlin. Au début des années quatre-vingt, on pouvait ne pas prendre la rhétorique marxiste-léniniste officielle du Congo-Brazza très au sérieux. Mais au moins la population connaissait la tranquillité et la vie n'était pas trop difficile. Un soir de juillet 1983, j'ai traversé à pied le quartier Bakongo à Brazza. Une patrouille d'une dizaine de militaires m'a emmené au poste pour vérification d'identité. Dans les rues, les portes se sont ouvertes et les gens commençaient à insulter à haute voix les militaires. Arrivé au poste, le commandant me dit simplement de partir... Personne ne craignait l'armée, personne ne s'imaginait que l'armée pouvait terroriser la population... En juillet 1997, à Kinshasa, le peuple croit que l'armée française, après sa dernière «intervention humanitaire» - l'évacuation des ressortissants français de Kinshasa en mai -, a laissé son artillerie lourde aux mains de l'ancien Président Sassou Nguesso. Le ministre Mawampanga l'a confirmé en déclarant que 2.000 éléments de la DSP avaient traversé à Brazzaville et y ont reçu du matériel français.50 Brazza risque de devenir une base française d'où les partisans de Mobutu préparent leur retour. A plusieurs reprises, de nuit, des soldats de la DSP, venus de Brazza en pirogues, ont débarqué sur la rive côté Kinshasa. Plusieurs ont été abattus sur place. D'après les rumeurs, fin juin, 300 soldats de l'AFDL ont traversé le fleuve pour soutenir les troupes du Président Lissouba. Théodore Kabamba a vécu les premiers mois de la libération du Congo dans son exil à Brazza. Avec Zenon Mibamba, il a accompagné Mulele, Abo et Joseph Makin-dua lors de leur retour forcé à Kinshasa, le 28 septembre 1968. Kabamba me raconte que presque toutes les maisons à Brazza ont été pillées, les voleurs ont pris les chaises, les fauteuils, même les portes. Il y a une seule usine qui tourne encore, celle qui produit la bière Primus. Toutes les autres usines et magasins ont été pillés. Dans les rues, il y a des cadavres que les chiens dévorent. On enterre les gens, mais pas en profondeur. Parfois on voit un pied dehors. Quand il pleut, les cadavres gonflent et la petite couche de terre qui les couvre, disparaît. «La communauté internationale dénigre tous les jours notre pays. Mais qiuelle s'occupe un peu de Brazza. Notre pays est agressé à partir de Brazza, c 'est sur nous que des bombes tombent. Ces bombes ne tombaient pas du temps de Mobutu. .,51 Le 12 juillet à 1 lh30, j'ai rendez-vous à la radio pour une interview sur Pierre Mule-^e. Célestin Luboya, le journaliste, n'a pu dénicher une bande son. Je lui donne quelques dollars pour qu'il s'en procure une. Aucun studio de la RTNC n'est fonctionnel. Avec beaucoup d'astuces, des techniciens parviennent à remettre l'électricité i_:i> un studio. A peine sommes nous installés, que tout s'éteint de nouveau. «Tu sais», me dit Célestin, «dans cette entreprise nous avons l'habitude de nous condui-re en héros. Mais il y a des limites à tout. Je l'ai dit au directeur, si on ne nous donne pas un minimum de moyens, il vaudrait mieux fermer la boîte. »Le complexe, luxueux à l'origine et appelé jadis «la Cité de la Voix du Zaïre», a été ouvert voici vingt ans, au grand bénéfice du groupe français Thomson-CSF. Les bâtiments n'ont jamais été entretenus et ils ont été pillés à plusieurs reprises. A 14h30, Célestin parvient à mettre la main sur le seul enregistreur à bande que possède le plexe radio-télévision. L'espoir renaît. Hélas, l'appareil refuse de fonctionner. Et ~.t technicien est absent. Dans la petite pièce où nous sommes assis face au micro défectueux, quelqu'un allume la télé. Gros plans sur des gens en colère qui hurlent et gesticulent. La caméra contre deux jeunes cadavres allongés, avec des plaies béantes par balles. Tout près, rois militaires désappointés. Par bribes, nous apprenons ce qui s'est passé. Des soldats r.t embarqué une fille, sans doute pour la violer, mais elle leur a échappé. Les militaires :nt alors tiré à tort et à travers et ils ont tué deux jeunes. Les passions montent très haut dans la commune de Bandalungwa. Les semaines précédentes, toutes sortes de rameurs circulaient sur des jeunes filles qui auraient été violées par les militaires. La pièce où nous nous trouvons face au micro inutile, se vide en silence. Seul un -.omme élève la voix: «On dit que l'armée est constituée d'étrangers. C'est la pureérité. Bien sûr que Mobutu était un dictateur, mais son armée ne tuait pas de cette façon. Bientôt ça va éclater ici, comme à Brazzaville. » Je me suis dit: c'est doncsi que les partisans de Mobutu préparent l'avenir... T'est sur cette note que j'ai quitté le Congo: «Du temps de Mobutu, l'armée tuait moins, du temps de Mobutu, c'était quand-même mieux». L'homme qui s'exprimait en ces termes, avait manifestement la nostalgie de la «transition démocratique»... Alors, je me suis rappelé les paroles de Kabila à son investiture : «Nous n 'étions pas partie prenante de la Conférence Nationale "Souveraine"!» Et Kabila a ajouté à ?ropos de Tshisekedi, Bo-Boliko, Kengo, Thambwe Mwamba et les autres héros de . CN S : « Les puissances occidentales ont exigé que leurs agents soient dans le nouveau gouvernement. » Une semaine après le renversement de la dictature, Tshisekedi disait à propos du gouvernement nationaliste qui venait d'être installé : « Ce gouver- nement n'existe pas!» et dans un même élan il ajouta: «Je suis toujours Premier ministre élu par la Conférence Nationale Souveraine». En juin-juillet 1997', j'ai entendu crier tous les personnages qui ont connu leur heure de gloire lors de la «Transition»: «II faut un gouvernement d'Union nationale», «II faut un gouvernement de transition formé dans le cadre prescrit par la CNS... » Apparemment, la Conférence Nationale Souveraine est restée pour certains la solution miracle à tous les problèmes du Zaïre, le sommet jamais égalé de la démocratie, le meilleur produit du génie zaïrois. Il faudra donc jeter un coup d'œil sur l'histoire de cette fameuse Conférence. Chapitre 2 La Conférence Nationale et «Souveraine»1,
Notes Notes Chapitre 1 1. Déclaration de prise du pouvoir, 17 mai 1997. 2. «Discours d'investiture du Président Kabila», La Solidaritén°156, 16-20 mai 1998. 3. « Mobutistes et Tshisekedistes encore ensemble», Forum des As, 23 juin 1997. 4. Le Monde, 16 mai 1997. 5. «La guerre de libération pourrait enchaîner le peuple congolais», La R éférence Plus, 31 mai 1997.6. «Déclaration de Dayton», F.C.L.T.C, 7 juin 1997. 7. Marie-Laure COLSON, «Les partis interdits à Kinshasa», Lib ération, 28 mai 1997.8. «L'UDPS exige le départ... », La Temp ête des Tropiques, 7 juin 1997.9. Frédéric FRITSCHER, « Une partie de l'opposition rejette... », Le Monde, 25-26 mai 1997. 10. «Le Congo attend que Kabila... », L'Echo de la Bourse, 22 mai 1997. 11. «Congo: un dinosaure à punir?», Le Vif/L'express, 27 juin 1997. 12. «Pas d'élections avant deux ans», La Libre Belgique, Reuters, 26 mai 1997. 13. Déclaration politique du Parti Lumumbiste Unifié (PALU), sur la situation consécutive à la chute du dictateur et à la mise en place du nouveau pouvoir, 28 mai 1997. 14. Didier GROGNA, «Les ex-gendarmes katangais entendent jouer un rôle important», L'Echo de la Bourse, 16 mai 1997. 15. «Reçue hier à Kinshasa par l'ambassadeur américain Bill Richardson...», Le Potentiel, 9 juin 1997. 16. Colette BRAECKMAN, «Kinshasa choisit de donner du temps au temps», Le Soir, 27 mai 1997. 17. Interview de J.-B. SONDJI, réalisée par Tony Busselen en juin 1997. 18. C. BRAECKMAN, «Kinshasa choisit... », Le Soir, 27 mai 1997. 19. Howard FRENCH, « The Honeymoon is over for Kabila ", International Herald Tribune, 14 juillet 1997. 20. « Congo - Front populaire de la résistance armée... », Le Monde, 2 juillet 1997. 21. Marie-Laure COLSON, «Les partis interdits... », Lib ération, 28 mai 1997.22. «To the poor of Congo, democracy means foods», International Herald Tribune, 6 juin 1997. 23. Reconstruction et démocratisation de la R.D.C, Actes du Colloque National de la Société Civile Congolaise, tenu à Kinshasa du 16 au 20 juin 1997, Editions CNONGD, BP 5744 Kinshasa, p. 11. 24.Ibid, p.181-184. 25. Ibid, p.151-155. 26. Ibid., p. 100. 27. Ibid.,p82. 28. Ibid.,p.95. 29. Ibid., p.98. 30. Ibid.,p.l0\1. 31. Ibid.,p.12A. 32. Ibid, p. 125. 33. Ibid., p.94. 34. Ibid., p.144. 35. «L'UDPS a marché», Salongo, 23 juin 1997. 36. «Kasavubu nie l'implication du régime», Le Soir, 28 juin 1997; «Tshisekedi emmené par l'armée», Le Soir, 27 juin 1997. 37. L.B., «Pour qui roule Kabila?», Le Nouvel Observateur, 29 mai 1997. 38. Udaga RIN'WEGY, «Recrudescence de vol à mains armées à Kinshasa», La R éférence Plus, 24 juin 1997.39. Inspecteur Nkashama WA KU MIABI, «A Kinshasa, les brigands refusent de déposer les armes», Le Messager africain n° 52,18-20 novembre 1997. 40. Ibid. 41. «Congo: Des mouvanciers veulent encore... », La R éférence Plus, 22 mai 1997.42. «Le supplice du collier», Le Palmar ès, 20 juin 1997; «Colère populaire», L'Ouragan, 16 juin 1997.43. «Sécurité: trois jours pour remettre les armes», Salongo, 23 juin 1997. 44. «Kinshasa: les bandits ne... », Salongo, 23 juin 1997. 45. «Mystérieux assassinats à Km», La Libre Belgique, 10 juillet 1997. 46. Adresse populaire du Président Laurent-Désiré Kabila à Bukavu, le 14 juin 1997, ronéotypé, 8 pages. 47. Entretiens, juillet 1997. 48. «Des mobutistes cherchent à salir... », La R éférence Plus, 5 juin 1997.49. L.B., « Pour qui roule Kabila?», Le Nouvel Observateur, 29 mai 1997. 50. AP et AFP, 5 juin 1997; «Regering Kabila wijsthulp &î»,Nieuwsblad, 6juin 1997. 51. Entretien, 5 octobre 1997. Chapitre 2 1. Ce chapitre est basé pour l'essentiel sur l'excellent ouvrage de Gauthier de VILLERS, Zaïre. La transition manquée 1990-1997, Cahiers Africains, Paris, L'Harmattan 1997. Les citations dont nous ne donnons pas les références sont tirées de ce livre. 2. LOKANE KONGO, Lutte de libé ration et piège de l'illusion0 - Multipartisme Intégral et Dérive de VOpposition au Zaïre (1990-1997), Presses Universitaires du Congo, 2000, p.24.3. FEDOSSIEV e.a, Karl Marx, sa vie, son œuvre, Moscou, Ed. du Progrès, 1973, p.159, 170, 174-177; MARX-ENGELS, La Nouvelle Gazette Rh énane, t. I et II, Paris, Ed. Sociales, 1969,1.1, p.66-67, 95-99, t. II, p.24, 27, 33.4. MARX-ENGELS, Œuvres choisies, 1.1, p.96. 5. MARX-ENGELS, Œuvres choisies, t. II, p.24. 6. MARX-ENGELS, Ibid., p.27. 7. MARX-ENGELS, Œuvres choisies, 1.1, p.67. 8. MARX-ENGELS, Œuvres choisies, t. II, p.33. 9. Manu RUYS, De Standaard, 1er juin 1990; Léo MARYNNISSEN, Het Volk, 9 juin 1990; Frans STRIELEMANS, De Nieuwe Gazet, 28 mai 1990. 10. «La fin de l'infantilisme», La Libre Belgique, 28 mai 1989. 11. «Gerommelineenheidspartij»,Hef Volk, 8juin 1990. 12. L. MARYNNISSEN, Het Volk, 9 juin 1990.
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